Coupe du monde au Qatar: 24 raisons derrière la controverse
Andrea Lubeck et Mathieu Carbasse
Du 20 novembre au 18 décembre, les yeux du monde seront tournés vers le Qatar qui accueille la Coupe du monde de soccer, une compétition qui est, après les Jeux olympiques d’été, l’événement sportif le plus regardé de la planète. Pour donner une idée, la dernière édition, qui s’est tenue en Russie en 2018, a attiré au total 3,6 milliards de téléspectateurs. La finale remportée par la France a été vue en direct par plus d’un milliard de personnes à travers le monde, soit près d’un être humain sur sept!
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Et 2022 ne fera pas exception, à moins que...
À moins que le malaise entourant l’événement cette année ne se dissipe pas et que les amateurs de ballon rond décident finalement de lui tourner le dos.
Mais pourquoi? Voici 24 des enjeux qui rendent la Coupe du monde de 2022 si controversée.
Les droits de la personne bafoués
1 - Les femmes, citoyennes de seconde zone
Selon Amnistie Internationale, les femmes subissent encore de nombreuses discriminations au Qatar, dans la législation comme dans la vie de tous les jours. Dans le cadre du système de tutelle, elles restent liées à leur tuteur masculin (généralement leur père, frère, grand-père ou oncle ou, pour les femmes mariées, leur mari). Elles ont par exemple besoin de l’autorisation de leur tuteur pour se marier, étudier ou voyager à l’étranger, occuper certains emplois de la fonction publique, ou encore, recevoir des soins de santé reproductive.
2 - Prison à vie pour des opposants politiques
Des citoyens qataris qui protestaient contre un déni de droit ont été condamnés en mai 2022 à une peine d'emprisonnement à vie. Leur tort? Ils s'opposaient à l’interdiction faite à leur tribu, les al Murra, de voter ou de se présenter aux premières élections législatives organisées dans le pays.
Le tribunal a ainsi condamné deux frères, tous deux avocats, à la prison à perpétuité. Il a également condamné par contumace deux autres hommes, l’un à la prison à vie et l’autre à 15 ans de prison.
Les quatre hommes ont été reconnus coupables d’incitation à la haine, de menace contre l’émir sur les réseaux sociaux et d’atteinte aux valeurs nationales.
3 - Divorce quasi impossible pour les femmes
Au Qatar, la législation relative à la famille reste discriminatoire à l’égard des femmes, pour qui il est impossible de divorcer sans le consentement de leur mari. Selon l’article 109 du Code qatari de la famille, « le divorce intervient par la volonté de l’époux, soit directement, soit par l’entremise d’un mandataire dûment habilité ; ou encore par la volonté de l’épouse si l’époux lui a consenti le droit d’option au divorce ». De plus, il demeure très difficile pour les femmes divorcées d'obtenir la garde de leurs enfants.
4 - Le fouet pour les victimes de viol
La flagellation est encore utilisée au Qatar pour punir la consommation d'alcool ou les relations sexuelles illicites.
C’est par exemple la sanction à laquelle a fait face Paola Schietekat, une Mexicaine condamnée en février 2022 à 100 coups de fouet et 7 ans de prison. Son crime ? Avoir été victime d’un viol. Une fois son agression reportée aux autorités locales, la jeune femme de 27 ans avait été accusée de « relations extraconjugales », un crime selon la charia qui sert de fondement aux lois du pays.
Sous la pression internationale, le juge a finalement décidé en avril dernier de mettre fin à la procédure. La peine de Paola Schietekat a finalement été annulée. L’agresseur lui n’a jamais été inquiété.
5 - Le droit interdit l’homosexualité
Fondé sur la charia, le Code pénal du Qatar érige toujours les relations sexuelles entre hommes en infractions passibles de peines pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. Selon l’article 296, «conduire ou inciter un homme de quelque façon, y compris par la séduction, à commettre un acte de sodomie ou de débauche» et «provoquer ou séduire un homme ou une femme, de quelque façon, dans le but de commettre des actes immoraux ou illégaux» constituent des infractions.
6 - Les drapeaux arc-en-ciel ne sont pas les bienvenus
Les drapeaux arc-en-ciel pourraient être retirés aux supporters de la Coupe du monde afin de les protéger contre les agressions liées à la promotion des droits des homosexuels, a déclaré un responsable de la sécurité du tournoi.
«Si un supporter brandit un drapeau arc-en-ciel dans un stade et qu'on lui enlève, ce ne sera pas parce que je veux l'insulter, mais bien le protéger. Si on ne le fait pas, un autre spectateur pourrait l'attaquer», a ainsi affirmé Abdulaziz Abdullah Al Ansari, à Associated Press.
«Vous voulez manifester votre point de vue sur la situation (des droits des personnes LGBTQ+, ndlr), faites-le dans une société où il sera accepté. Ne venez pas insulter toute la société à cause de ça (...) Ici on ne peut pas changer les lois. Vous ne pouvez pas changer de religion pendant 28 jours de Coupe du monde», a-t-il ajouté.
7 - Des personnes LGBTQ+ arrêtées et abusées par la police
Dans un rapport publié fin octobre, l’organisation de défense des droits de la personne Human Rights Watch accuse la police qatarie de détentions arbitraires et de maltraitances à l’endroit de membres de la communauté LGBTQ+.
«Alors que le Qatar s’apprête à accueillir la Coupe du monde, les forces de sécurité détiennent et maltraitent des personnes LGBT simplement en raison de qui elles sont, apparemment avec la certitude que ces abus ne seront ni signalés ni interdits», a ainsi déclaré Rasha Younes, chercheuse auprès du programme Droits des LGBT à Human Rights Watch.
Selon Human Rights Watch, toutes ces personnes auraient été arrêtées dans des lieux publics uniquement en raison de leur expression de genre. Leurs téléphones auraient été illégalement fouillés. Détenues sans inculpation, à l’isolement et sans accès à un avocat, aucune n’aurait reçu de procès-verbal concernant sa détention.
Autant d'actes susceptibles de constituer des détentions arbitraires au regard du droit international.
8 - Les thérapies de conversion existent encore
Les autorités qataries imposent aux femmes transgenres de suivre des séances de thérapie de conversion dans un centre de « soutien comportemental » parrainé par le gouvernement.
Quels droits du travail?
9 - Le Qatar s’adonne à de «l’esclavage moderne»
Plus d’un million de travailleurs étrangers – venus d’Inde, du Sri Lanka, du Népal et du Bangladesh, entre autres – se sont rendus au Qatar depuis 2010 pour construire les stades devant accueillir les matchs de la Coupe du monde. Or, leurs conditions de travail sont qualifiées «d’esclavage moderne» par différentes ONG.
Les migrants sont en effet soumis à la kafala, un système d’emploi par parrainage. «Ils sont au service et sous le bon vouloir de leur employeur. On confisque leur passeport et s’ils ne sont pas satisfaits de leurs conditions de travail, de leur emploi ou de leurs patrons, ils ne peuvent pas changer d’employeur», explique France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada.
Ce système ne s’applique pas uniquement aux travailleurs pour la Coupe du monde. Sous la pression de la communauté internationale, le Qatar a adopté une réforme de ses lois visant à protéger les travailleurs, incluant l’abolition de la kafala. S’il s’agit d’une amélioration de leurs droits sur papier, en pratique, c’est une autre chose, soutient France-Isabelle Langlois.
«En principe, les travailleurs étrangers ont plus de recours maintenant et peuvent changer d’employeur. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Difficile de dire si leur situation s’est améliorée même si les progrès sur le respect de leurs droits sont réels, quoiqu’insuffisants», précise-t-elle.
10 - On travaille toujours sous un soleil de plomb
Malgré l’adoption d’une directive interdisant le travail lors des journées chaudes d’été, une enquête d’Amnistie internationale révèle que son application fait défaut. On ne sait d’ailleurs pas combien de travailleurs sont morts de coup de chaleur, car le Qatar n’a pas publié ces données depuis sept ans. Une étude publiée en 2019 de l’Université Thessalie, en Grèce, conclut pourtant que le stress thermique est l’un des principaux risques et pourrait être une cause probable de décès cardiovasculaires des travailleurs migrants au Qatar.
11 - Des milliers de morts sur les chantiers
Depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en décembre 2010, 6750 travailleurs migrants sont morts dans le pays, a révélé une enquête du Guardian. Bien que le pays ne classe pas les décès par profession ou lieu de travail, il est fort probable qu’un bon nombre d’entre eux sont décédés sur les chantiers des infrastructures liés à la tenue de la Coupe du monde. Au-delà de ces milliers de morts, les ouvriers qui ont participé à la construction des stades travaillaient dans des conditions «abominables».
«Ils travaillaient de longues heures, six jours sur sept, dans une chaleur insoutenable, pour un salaire de misère et n’avaient presque pas d’eau et de nourriture», énumère la directrice générale d’Amnistie internationale Canada, France-Isabelle Langlois.
Une Coupe du monde peu soucieuse du climat
12 - Du greenwashing à la tonne
La Coupe du monde au Qatar promet d’être l’un des événements sportifs les plus polluants en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES). La FIFA et le Qatar affirment que le tournoi émettrait 3,6 millions de tonnes d’équivalent de CO2. C’est plus du double que ce que la Coupe du monde en Russie a émis en 2018 (1,5 million de tonnes), mais c’est aussi plus que les émissions de pays entiers, comme les Bahamas (3,2 millions de tonnes) ou l’Islande (2,85 millions de tonnes).
«La plus grande partie de ces émissions sont des émissions indirectes, liées à la construction des stades ou encore au voyage des partisans, par exemple», explique Salomé Sané, chargée de campagne Climat et Énergie à Greenpeace Canada.
L’ONG Carbon Market Watch soutient d’ailleurs que ces émissions sont largement sous-estimées: elles pourraient être jusqu’à huit fois plus élevées.
Du même souffle, les ONG en environnement dénoncent la FIFA et le Qatar, qui s’adonneraient à du greenwashing en clamant que la Coupe du monde serait un événement carboneutre.
Le problème, c’est qu’ils veulent utiliser la compensation carbone par la reforestation pour arriver à la carboneutralité, une stratégie critiquée par les experts.
«La vraie façon de lutter contre les changements climatiques, c’est en réduisant les émissions à la source. Même si on compense les émissions du tournoi, les gaz à effet de serre se retrouvent dans l’atmosphère», fait valoir la représentante de Greenpeace.
Elle ajoute aussi que les émissions de GES de la Coupe du monde ne seraient pas totalement compensées puisque la FIFA conteste les estimations de Carbon Market Watch.
13 - Sept nouveaux stades climatisés
Des huit stades qui seront utilisés pour les matchs, sept stades à ciel ouvert ont été construits spécifiquement pour l’occasion. Mais les partisans n’ont pas à se soucier de la température extérieure de l’un des déserts les plus chauds du monde, le Rub al-Khali au sud de la péninsule arabique, puisque ceux-ci sont climatisés. Vous l’aurez deviné: cela ajoute un tas de GES au bilan climatique de l’événement!
14 - Un avion toutes les 10 minutes
La Coupe du monde devrait réunir 1,2 million de spectateurs sur place. Or, le Qatar n’a pas la capacité d’héberger tous ces partisans; ceux-ci devront donc faire l’aller-retour entre la capitale, Doha, et Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, ou encore Tel-Aviv en Israël, en navette aérienne chaque jour pour assister aux matchs. On parle de 160 vols quotidiens – un avion toutes les dix minutes!
15 - Un énorme gaspillage d’eau
L’entretien quotidien des terrains nécessite plus de 10 000 litres d’eau dessalée – et ce, pour chacun des huit stades. C’est énorme, d’autant plus que le processus de dessalement de l’eau s’avère particulièrement polluant puisqu’il requière l’utilisation d’énergies fossiles.
16 - Un État qui n’en fait pas suffisamment pour le climat
Le Qatar émet près de 115 millions de tonnes de GES annuellement. Comme il est peu peuplé et compte parmi les pays exportateurs de pétrole et surtout de gaz, l'émirat est le plus gros émetteur de GES par habitant de la planète – chaque Qatari émet 32,5 tonnes d’équivalent de co2 par année!
La liberté de la presse en péril
17 - Le Qatar parmi les pires
Classé en 2021 au 119e rang sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), le Qatar est loin d’être un modèle en matière de liberté d’expression et de pluralité de ses médias.
«Les journalistes locaux ont une marge de manœuvre assez réduite tout simplement parce qu’il y a un arsenal juridique assez costaud, affirme Pauline Adès-Mével, rédactrice en chef de RSF. La loi sur la cybercriminalité a été renforcée en 2020, ce qui fait qu’aujourd’hui diffuser de fausses nouvelles sur internet pour un journaliste qatari, c’est s’exposer à des sanctions pénales. Forcément, ce contexte crée de l’auto-censure.»
La rédactrice en chef de RSF dénonce aussi la «grande homogénéité de couverture» de la presse locale et fait état d’un climat d’intimidation et de surveillance. «Si un journaliste sait qu’il est surveillé, ça ne l’encourage pas à gratter les sujets un peu plus délicats. C’est ce qu’on appelle le chilling effect», explique Mme Adès-Mével.
Dans le cadre de la Coupe du monde, plusieurs journalistes étrangers ont d’ailleurs fait les frais d’une interpellation et d’un passage par la case prison. C’est notamment le cas de journalistes de la BBC en 2015 et de deux journalistes de la télévision publique norvégienne qui se sont retrouvés en 2021 derrière les barreaux pour avoir enquêté sur les conditions des travailleurs étrangers sur les chantiers de la Coupe du monde.
... et encore plus
18 - La Coupe du monde de la corruption
Depuis que la FIFA a confié au Qatar l’organisation de la Coupe du monde 2022, l'émirat gazier est soupçonné d'avoir acheté la compétition. Les justices suisse, américaine et française enquêtent sur ce dossier en lien avec le scandale de corruption généralisée qui touche la FIFA depuis 2015. Sont notamment pointés du doigt les liens politiques et économiques tissés par le Qatar, notamment en Europe, qui lui ont permis de s’acheter des soutiens.
19 - Pas de tenue spéciale pour le Canada
La Coupe du monde de soccer est l’occasion rêvée pour les équipes participantes de revêtir un nouvel uniforme. Et cette édition n’échappera pas à la tradition : toutes les équipes joueront avec une tenue conçue spécialement pour l’événement. Toutes, sauf une, le Canada, qui jouera avec un modèle de base de Nike.
Selon le site The Athletic, la rapide montée en puissance de la sélection à l'unifolié aurait pris de cours Soccer Canada... qui a raté la fenêtre pour lancer la production d’un maillot spécial pour la Coupe du monde au Qatar.
20 - Le Qatar achète des supporters
Pour s'assurer que les stades accueillant la compétition seront pleins, les autorités du pays organisateur ne reculent devant rien. Elles ont donc invité tous frais payés (avion, hôtel, tickets) des supporters réguliers, si possible actifs sur les réseaux sociaux, ou des dirigeants d'associations de supporters, issus d’une soixantaine de pays.
21 - Le silence du monde du foot
Malgré la pression médiatique et les nombreux appels au boycott, les joueurs comme les différentes sélections se gardent bien de critiquer le pays hôte. Il n’a d’ailleurs jamais été question qu’une équipe renonce à la Coupe du monde pour protester contre le non-respect des droits humains au Qatar ou contre le non-sens écologique de l’événement. Certes la Norvège a menacé un temps de boycotter l’événement... sauf qu’elle ne s’est même pas qualifiée! Dans le reste de la planète foot en revanche, le silence reste de mise.
22 - Une Coupe du monde... en hiver
Exceptionnellement, la Coupe du monde au Qatar doit se tenir en hiver cette année sans quoi la température à l’extérieur serait insoutenable. En effet, le mercure atteint en moyenne les 50°C en été du fait que le pays est situé près du désert Rub al-Khali. Celui-ci est surnommé le «Quartier vide» tant les conditions y sont hostiles. On y trouve aussi la plus grande mer de sable au monde. Les différentes fédérations sportives ont d’ailleurs dû revoir tout le calendrier de la saison 2022 pour accommoder cette décision.
23 - Bonne chance pour trouver de l’alcool!
Comme le Qatar est un pays mulsulman, l’alcool y est normalement strictement interdit. Au départ, il était pourtant prévu que l’émirat fasse une exception pour la durée du Mondial, avec des restrictions à la clé. La bière – de la Budweiser seulement! – du champagne, du vin et autres spiritueux devaient être autorisés trois heures avant le début des matchs et une heure après. Finalement, deux jours avant l'ouverture de la compétition, coup de théâtre, le Qatar a décidé de bannir totalement la consommation d’alcool autour des stades et de la restreindre aux fan-zones établies dans la capitale, Doha. Une décision qui a même pris de court la Fédération internationale de football (FIFA).
24 - De nombreux appels au boycott
Partisans, joueurs et même des médias appellent au boycott de la Coupe du monde en raison de tout ce qui se passe au Qatar.
Pourquoi 24 enjeux?
C’est d’une part un clin d’œil à notre nom, mais c’est aussi pour démontrer à quel point ce Mondial est fortement problématique. À dire vrai, on aurait pu se rendre à 50 raisons – voire dépasser ce nombre. On a plutôt choisi de se concentrer sur les problèmes les plus marquants dans 5 catégories.