«Comme Napoléon, Trump veut dominer le monde. C'est un dictateur»: Janette Bertrand, toujours indignée, célèbre son centième anniversaire mardi


Sarah-Émilie Nault
Née en 1925, la journaliste, animatrice, écrivaine et scénariste québécoise Janette Bertrand soufflera ses cent bougies mardi. «Je vis chaque jour avec bonheur. Je suis une profiteuse. Je me donne deux ou trois ans encore et c’est correct. J’ai mené une bonne et une grande vie. Profiter de la vie, c’est peut-être ça, le sens de la vie?», a confié la grande dame avec tendresse et authenticité dans une longue entrevue avec Le Journal.
Femme de cœur, de lettres et d’opinions, Janette Bertrand a connu une carrière remarquable qui, malgré le passage des années, ne semble pas vouloir s’essouffler.
Pourtant, la grande communicatrice se fait très discrète lorsque vient le temps de parler de son œuvre.
«Je ne suis pas bien placée pour parler de cela», répond-elle lorsqu’on lui demande quelles ont été, selon elle, les œuvres les plus importantes qu’elle laisse en héritage.
Féministe
Maintes fois honorée pour son impressionnante carrière s’étalant sur plus d’un demi-siècle, Janette Bertrand, la féministe avant même que le mot existe, a marqué l’histoire du Québec, particulièrement celle des femmes pour qui elle ne cessera jamais de lutter.
Elle a passé sa vie à lutter pour l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes.
Dès 1950, elle écrit sa chronique Opinions de femmes et le courrier du cœur Le refuge sentimental, qu’elle a tenus dans le Petit Journal pendant 17 ans.

Janette (pour les intimes!) s’est aussi démarquée à la radio (Mon mari et nous) et à la télévision comme prolifique et avant-gardiste scénariste et animatrice.
Ses grands questionnements auront mené à la création, dans les années 1980 et 1990, de deux émissions télévisées révolutionnaires de la culture québécoise : Parler pour parler (un groupe de discussion sur des sujets intimes) et Avec un grand A, une série de 52 dramatiques proposant des histoires humaines destinées à faire réfléchir les gens. Pour toute une génération de téléspectateurs, des images tirées de certaines de ces œuvres dramatiques sont encore bien ancrées dans les mémoires.
Indignation: Trump et le reste
Centenaire sereine, Janette Bertrand trouve toujours l’énergie pour questionner le monde qui l’entoure et pour s’indigner des injustices.
Pour elle, il y a encore des combats à mener. À ses petites-filles et aux jeunes femmes, elle souhaite «l’égalité entre les hommes et les femmes» pour les cent prochaines années.
«Mais ce n’est pas fait! Depuis à peine cent ans, on voudrait notre place. Mais il y a encore du travail à faire pour les femmes. Aux hommes, je souhaite un peu plus d’humilité. On a fait des pas de géant, mais je ne m’attends pas à plus, car on ne peut pas défaire 10 000 ans de domination en 100 ans.»
D’un naturel optimiste, elle admet craindre l’actualité récente et tout ce qui tourne autour de la présidence de Donald Trump.
«C’est sûr que ça fait peur. Ça me rappelle quand j’étais jeune fille pendant la guerre. Là, on est au moment où tout le monde dit: c’est un fou! Non, ce n’est pas un fou, c’est quelqu’un qui veut, comme Napoléon, dominer le monde. C’est très grave, ce qui se passe. C’est un dictateur. Je pose la question aux Américains: mais pourquoi vous ne le mettez pas dehors? Il faut faire quelque chose. Il faut boycotter Tesla et les produits américains. C’est ce que je fais », affirme-t-elle.
Le travail et les gens comme principales sources d’inspiration: «J'aime beaucoup les défis et le danger»
Dans la première partie de cette généreuse entrevue, Janette Bertrand a abordé son travail, ses projets et sa riche relation avec les gens.
Q: D’où vous vient votre inspiration?
JB: «Je ne crois pas à l’inspiration qui te tombe dessus. Mais je crois que si tu observes bien les gens et que tu te donnes la peine de les connaître, tu vas être inspiré par eux. Ils vont te donner le goût d’être meilleur, d’écrire sur eux. C’est sûr que c’est le monde, les gens, qui m’intéressent. D’où il vient, comment ça se fait qu’il soit comme ça, par où il est passé pour être comme ça? Ça, ça m’intéresse!»
Q: Quels sont les projets qui ont le plus marqué votre carrière?
JB: «L’amour avec un grand A, les livres que j’ai écrits aussi... Mais je ne sais pas. Je ne suis pas bonne pour juger de ce que j’ai fait. Chaque chose que j’ai faite, j’étais dans un état et à l’âge où j’avais ce talent-là. J’ai eu des hauts et des bas, beaucoup de bas que les gens ne connaissent pas, car ils ne voient que ce qui a réussi. J’ai écrit beaucoup de choses qui n’ont pas été publiées. J’ai proposé des séries à la télévision qui n’ont pas été acceptées. Je suis consciente de ne pas avoir tous les talents. J’ai mon petit talent à moi que j'ai essayé de développer le plus possible.»
Q: Vous avez marqué l'histoire de la télé avec Quelle famille! Grand-papa, L'amour avec un grand A... De quel projet les gens dans la rue vous parlent-ils le plus?
JB: «Habituellement, on me parle de ce que je fais en ce moment. On ne revient pas beaucoup sur les anciennes choses, car j’en ai toujours de nouvelles. Et ce n’est pas fini! Les gens me parlent de la pandémie, d’Écrire sa vie, de ce que je fais sur le moment. Car j’ai la chance et la force de toujours travailler et de toujours faire de nouvelles affaires.»
Q: Vous vous êtes constamment réinventée. Lequel de vos multiples chapeaux préférez-vous?
«Finalement, là où je suis le mieux dans la vie, c’est dans un studio de télévision ou de radio. Là où je rencontre ben du monde. J’aime beaucoup ça et j’y suis très bien. Je suis à l’abri dans un studio. J’ai passé un nombre infini de temps dans des studios. J’aime l’atmosphère, les techniciens, les caméramans... Et comme j’aime beaucoup le danger et les défis, c’est toujours un défi. Vais-je être bonne? Vais-je bien faire cela? C’est un état – un chapeau, si on veut – où je suis très bien et je suis gâtée, car j’en fais beaucoup. J’adore répondre aux questions, car je ne me prépare jamais et c’est toujours un peu être sur la corde raide. Je peux arriver pour donner une conférence et me dire: on va voir! Je me fie beaucoup à mon instinct.»
Q: Justement, vous travaillez déjà sur un nouveau projet, non?
JB: «Oui, je suis en train de préparer un autre livre. Ça part du projet des autobiographies que j’ai parti pendant la pandémie. On en a reçu plus de 2000. Je les ai toutes lues et c’est de ça que je vais parler dans mon prochain livre. Ces autobiographies-là sont notre histoire récente, aux Canadiens français. Ce sera 100 ans d’histoire, mes 100 ans à moi, racontés à travers l’histoire, ce qui se passait vraiment dans les régions, dans les villes, ce que les gens m’ont écrit.»
«Aussi, dès l’été, en collaboration avec l’Institut de gériatrie, je vais demander aux personnes âgées: qu’est-ce que vous voulez pour votre vieillesse? Qu’est-ce qui vous tente? Que voudriez-vous que le gouvernement fasse? Que vos enfants fassent? Je leur promets en retour d’apporter leurs réponses au premier ministre. Ça se trouve au www.figm.ca si les gens veulent aller voir.»
- Le siècle de Janette, une installation vidéo documentaire conçue par Martin Bundock et réalisée par Léa Clermont-Dion en collaboration avec Mme Bertrand, sera présentée gratuitement à la Salle d’exposition de la Place des Arts du 26 mars au 18 mai 2025.
- Une vidéoprojection en son honneur illuminera également la façade du pavillon Président-Kennedy de l’UQAM du 22 mars au 20 avril 2025.
- 61 représentations de la pièce de théâtre Janette (qui célèbre Janette Bertrand, ici incarnée par Guylaine Tremblay) sont prévues au Théâtre Duceppe entre le 9 avril et le 17 mai 2025.