Construire le cinéma, un plan à la fois : Halloween

Victor Norek
Le mois des frayeurs est le moment parfait pour revenir sur le film qui a tout commencé, celui que beaucoup considèrent comme le premier slasher, celui qui a posé les bases de tout un genre : Halloween, de John Carpenter. Sorti en 1978, il a été, pendant plus de deux décennies, le film le plus rentable de l’histoire du cinéma, multipliant par plus de 230 son budget (avant d’être détrôné par Le Projet Blair Witch en 1999). Mais pourquoi se souvient-on encore d’un petit film de peur de série B, presque 50 ans après sa création ?
Tourné en 20 jours avec un masque de Capitaine Kirk de Star Trek dont ils ont enlevé les sourcils et qu’ils ont peint en blanc, le film devait au départ se passer sur plusieurs jours et s’intituler The Babysitter Murders. Ce n’est que pour des raisons budgétaires qu’il fut décidé de concentrer l’action sur une seule nuit, celle de l’Halloween.

Question de point de vue
Le génie de Carpenter dans l’invention de Michael Myers, son grand méchant, qu’il a conçu comme l’incarnation du mal, est d’assujettir la mise en scène à celui-ci. En effet, pour la première fois de l’histoire du cinéma, Carpenter va faire mentir la caméra.
Auparavant, le spectateur savait toujours si un plan était subjectif ou non, c’est-à-dire si c’était le point de vue d’un personnage, dont la caméra prenait la place, ou si c’était un plan objectif, descriptif, n’appartenant à aucun personnage.
Ici, sans arrêt, le spectateur se demande si Michael Myers est devant ou derrière la caméra, c’est-à-dire qu’il se demande d’où il surgira, créant une ambiance d’angoisse extrême.

Pour cela, il a fait de son ouverture un long plan séquence entièrement subjectif, de plus de quatre minutes, positionnant le spectateur dans les yeux du tueur (renforcé par le fait que celui-ci met un masque à un moment, rétrécissant alors notre champ de vision). Tueur qui se révèle être, comble de l’horreur, un petit garçon de 6 ans.
La caméra est ainsi définie dès le premier plan comme le regard de l’assassin et le spectateur, conditionné à la percevoir comme telle. Cependant, Carpenter, par la suite, ne cessera pas de jouer avec nos nerfs en rendant son tueur évanescent, capable de surgir de n’importe où.
Hitchcock
Un plan résume à merveille cette idée. Il s’agit d’un moment où l’héroïne, interprétée par Jamie Lee Curtis, se rend compte que toutes ses amies sont mortes. Elle s’adosse en pleurant au chambranle d’une porte ouverte. Cependant, peu à peu, comme si nos yeux s’accommodaient à l’obscurité, on se met à discerner le visage de Michael Myers dans le noir derrière elle, comme s’il apparaissait du néant.

Pour illustrer cette idée d’un mal ancestral qui reviendra toujours sous une forme ou une autre, Carpenter mise sur la référence. Il a choisi pour cela un film matrice du cinéma de tueurs en série : Psychose, d’Alfred Hitchcock. En effet, Jamie Lee Curtis n’est autre que la fille de Janet Leigh, qui incarnait le personnage principal de Psychose. De plus, le docteur qui a la garde de Michael Myers se nomme Sam Loomis, qui était le patronyme du petit ami de Janet Leigh dans l’œuvre d’Hitchcock.
De cette façon, que ce soit par sa mise en scène ou son système de référence, Carpenter représente le fait que le mal est partout, éternel. Son tueur est pire qu’un croquemitaine : il est immortel, existe et existera toujours, dans chaque recoin, dans chaque être humain. Le fait que Michael Myers ne meurt pas et ne fait que disparaître malgré les coups de feu qu’il reçoit (le fait qu’il y a 13 opus dans la saga devrait vous mettre sur la voie) n’était pas un coup marketing cynique dans le but de laisser une fin ouverte à des suites (ce qui était rarement le cas à l’époque), mais bien la matérialisation du fait qu’on ne peut tuer le mal.
En bref

Halloween : 1978, Compass International Pictures, réalisé par John Carpenter, avec Jamie Lee Curtis et Donald Pleasence.
- Recettes : 47 M$ (domestique), 70 M$ (international).
- Impact : Est listé 68e des 100 plus grands thrillers par
l’American Film Institute et
Michael Myers a été nommé plus grand méchant de slasher de tous les temps par LA Weekly.