Conspirationnistes, lobbys politiques: voici ce qui attend les parents des victimes de la fusillade au Texas
Camille Dauphinais-Pelletier
Les parents qui ont perdu un enfant dans la fusillade survenue dans une école primaire au Texas mardi sont évidemment plongés dans un deuil tragique. À celui-ci s’ajouteront d’autres éléments difficiles à vivre, si on se fie à ce qui est arrivé lors d’autres événements similaires comme Sandy Hook.
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La journaliste Elizabeth Williamson a écrit un livre sur la fusillade de Sandy Hook, où 28 personnes (dont 20 enfants) ont perdu la vie en 2012. Elle a parlé avec plusieurs personnes qui y ont perdu un enfant durant les années qui ont suivi, et a identifié dans un épisode du podcast The Daily trois phénomènes qui risquent de venir ajouter une couche supplémentaire à l’horreur que vivent les parents des victimes de la fusillade de cette semaine. Les voici.
1. La perte de contrôle sur leur histoire
Une des choses rapportées par tous le parents et proches de victimes à qui Mme Williamson a parlé est un sentiment de perte de contrôle totale sur leur histoire et celles de leurs proches.
«Ils les voient être étalées dans les médias, ils perdent le contrôle sur la réponse à la tragédie, et sont très sensibles à cela», rapporte-t-elle.
Le père d’un des enfants décédés à Sandy Hook lui a décrit la situation comme «être un spectateur de sa propre tragédie». «Il y a de la couverture médiatique, des discussions sans fin, les "thoughts and prayers" que les politiciens envoient dans des tweets ou des déclarations, et tu te sens comme si tu regardais tout ça se déployer», dit Mme Williamson en le paraphrasant.
Et dans les premiers temps, parmi tout ce tapage médiatique, il faut réussir à faire le sinistre travail de planifier des funérailles pour son enfant.
Les parents deviennent presque automatiquement des figures publiques, sans avoir d’espace pour faire leur deuil, faire sens de cette tragédie comme ils peuvent.
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2. L’instrumentalisation par des lobbys politiques
D'ailleurs, parlant de figures publiques, les proches des victimes des fusillades doivent forcément avoir envie de se battre pour mieux encadrer la possession d’armes à feu, non?
Cette idée peut sembler vraie de façon intuitive mais... ce n’est pas nécessairement le cas. Et d’assumer cela peut leur faire du tort.
«Les familles doivent se demander : voulons-nous aller à Washington faire du lobbyisme pour une meilleur législation? Voulons-nous faire partie de ce débat, ou éviter pour protéger notre vie privée et notre santé mentale? Est-ce qu'on préfère se retirer de ce débat? Est-on en faveur des mesures qui sont proposées ou non?» soulève-t-elle.
«Il y avait pour certains un sentiment que les familles de Sandy Hook étaient un monolithe, toutes en faveur de telle ou telle mesure, alors qu’en réalité elles avaient un éventail très large de points de vues», rapporte l'écrivaine, ajoutant que certains avaient trouvé ça lourd que les gens présument qu’ils étaient immédiatement des alliés de telle ou telle cause.
Surtout que tous ces efforts de lutte politique peuvent sembler vains. «Après chacune des fusillades de masse – mais surtout celles impliquant des écoles d’enfants – il y a un énorme débat entourant de nouvelles législations pour les armes à feu. Ça dure pendant un moment et puis ça s’éteint sans qu’aucun progrès n’ait été fait», résume Mme Williamson.
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3. Faire face aux théories du complot
Après la fusillade de Sandy Hook, des théories du complot ont émergé, prétendant que cet événement ne s’était pas réellement passé, qu’il était une mise en scène avec des acteurs visant à resserrer le contrôle des armes à feu.
Depuis, ça arrive dans presque toutes les fusillades hautement médiatisées.
«Le meurtre d’enfants dans une fusillade de masse est tellement un choc et un argument fort pour la législation que les gens qui sont contre trouvent vraiment que c’est une menace à leur position. Donc pour le segment d’extrême droite de ce groupe, nier que c’est arrivé, propager de fausses informations ou accuser le gouvernement fédéral de l’avoir organisé est une façon de se battre contre une nouvelle législation», explique Mme Williamson.
«Même si ç’a l’air incroyable pour nous, assez de gens vont souscrire à cette théorie pour que les familles aient à endurer du harcèlement par des gens qui vont tenter de les contacter sur les médias sociaux, trouver où ils vivent et tenter de les appeler, nier qu’ils ont perdu des gens et les accuser, en nommant leur nom, d’être des acteurs dans une conspiration.»
«Je serais vraiment surprise que ça n’arrive pas à ces parents au Texas.»
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Lueur d’espoir : il se peut que ce genre de théorie du complot circule moins facilement maintenant. Les familles des victimes de Sandy Hook poursuivent en diffamation Alex Jones, un théoricien du complot qui a fait circuler beaucoup de fausses informations concernant cet événement.
Les importantes sommes en jeu pourraient faire réfléchir certains avant de se lancer dans une campagne du genre, soulève Mme Williamson.
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L’épisode complet est disponible sur les grandes plateformes d’écoute en continu ainsi que sur le site web du New York Times. Le livre écrit par Elizabeth Williamson s’appelle Sandy Hook: An American Tragedy and the Battle for Truth.