Comment se réinsérer après avoir fait de la prison
Axel Tardieu
Trouver un emploi, signer un bail et refaire sa vie, c'est un défi quand on sort de prison. Environ 1600 personnes condamnées étaient derrière les barreaux des 18 prisons du Québec en 2020-2021. Quelles sont les clés pour une bonne réinsertion? Comment peut-on améliorer le système? On a posé ces questions à un ex-détenu et à des spécialistes.
«J'ai fait des mauvais choix.» David Mathieu l’assume. À 36 ans, il a passé plus de huit ans dans des prisons fédérales et provinciales. Il dit avoir appris de ses erreurs et être sur le droit chemin depuis presque deux ans.
Plus jeune, il s’est souvent retrouvé dans des bagarres et fréquentait des gens dont le vol et la drogue faisait partie du quotidien. En amour ou en amitié, les relations toxiques s’enchaînaient pour une raison claire, selon lui.
«J'ai vécu dans une famille complètement dysfonctionnelle. J'ai été très malheureux. J’ai vécu de la violence psychologique, physique... même très, très, beaucoup physique. J'ai eu des bleus sur le corps», explique David Mathieu.
Tôt dans sa vie, ce natif du quartier Saint-Sauveur à Québec connaît la peur, la douleur, la tristesse et l'anxiété.
«Je voulais tellement me faire aimer et me faire accepter, que j'étais prêt à faire n’importe quoi», dit-il aujourd'hui. Ses «bêtises» l’amèneront en prison dès l’âge de 19 ans. Il retournera plusieurs fois à ce qu’il appelle l'«abattoir».
«Tu ne vois pas ton fils. Tu ne vois pas la conjointe qui partage ta vie. Après ça, ta sentence est finie. Tu sors, t’as rien. Tu te rembarques, soit dans une relation malsaine, ou soit tu veux de l'argent pour vivre alors tu reviens dans tes anciens patterns et tu retournes à l'abattoir», se souvient-il.
Grâce à des programmes en prison, à Annie-Claude, sa conseillère en milieu carcéral, mais surtout à son entourage, David Mathieu sort et change ses mauvaises habitudes.
«La réinsertion, c'est difficile, mais quand t'es bien entouré, tu peux t'en sortir. J'ai des gens autour qui m'appuient, qui me donnent la petite tape dans le dos dont tout être humain aurait besoin», avoue-t-il.
L'avis d'un criminologue
David Henry, criminologue et directeur général de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), confirme. «Pour ne plus tomber dans les vieux démons, il faut changer le milieu social. Il faut avoir, par exemple, une conjointe ou un conjoint prosocial, qui n’est pas criminalisé.»
Décrocher un emploi lorsque le détenu retrouve sa liberté est aussi une clé pour se réinsérer plus vite. «Mais, c’est compliqué, car ils sont souvent peu éduqués. Dans le système provincial, c’est-à-dire les sentences de moins de deux ans, plus de la moitié des détenus n’ont pas de secondaire cinq», observe David Henry. «Il faudrait donner plus de cours et d’enseignement en prison pour qu’ils sortent plus diplômés.»
«L’art peut être une thérapie pour passer à autre chose de positif et laisser les démons derrière soi, comme le sport peut aussi l’être», estime Daniel Poulin-Gallant, à la tête de l’organisme Alter Justice. Avec la musique, «on extirpe ses idées noires, on sort le méchant pour l’écrire et le mettre ailleurs».
À l’ASRSQ, David Henry et ses collègues ont créé le Cabaret de la Seconde Chance, un projet artistique mettant en scène des personnes de talent ayant eu des démêlés avec la justice.
«Nous croyons que l’art peut aussi servir de tremplin à la réinsertion sociale, explique-t-il. Quand on est touché par quelqu’un, on est plus enclin à tenter de comprendre et à s’ouvrir aux différentes réalités qui ont pu être vécues par l’autre.»
David Mathieu a commencé à écrire des chansons dès l'âge de 14 ans lorsqu’il était au centre de réadaptation Le Gouvernail. Depuis sa sortie de prison, il investit une partie de son temps dans le slam et le rap.
«La musique m'a sauvé, dit-il. Quand je suis en studio, ma peine, ma rage, ma tristesse existent, mais dans ma voix, dans ce que je crache, dans comment je l'emporte.»
Comment ne pas récidiver
Quel conseil donnerait-il à un délinquant finissant une peine? «Je lui donnerais comme but et objectif d'apprendre à se connaître, à se respecter», lance David Mathieu. «Sois conscient de tes fautes. Puis, change-les.»
Le criminologue David Henry en convient: «Il faut que la personne prenne conscience de ce qu’elle a fait et pourquoi grâce à des accompagnants en prison.»
Selon lui, le gouvernement devrait investir plus d’argent dans les organismes à l'extérieur des établissements pénitenciers pour mieux accompagner les anciens détenus en les aidant à être employables, à mieux gérer leur colère et leur estime de soi.
Pour comprendre si la réinsertion sociale fonctionne dans une société, il faut observer le taux de récidive. Les experts soulignent l’importance des programmes de réinsertion durant l’incarcération.
Selon le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), en 2019, le taux de récidive des détenus qui participaient aux programmes a été de 10% à Montréal, par rapport à 50% chez les non-participants sur une période de cinq ans. Dans les deux autres établissements, les taux ont été de 6% à Québec et 35% à Saint-Jérôme.