Montréal pourrait se servir de la neige ramassée pour climatiser des immeubles l’été
Axel Tardieu
Dès qu’il tombe plus de 15 cm de neige sur Montréal, les équipes de la Ville sautent dans leurs véhicules pour déneiger les 10 000 km de rues. Ces 12 millions de mètres cubes de neige ramassés chaque année finiront un jour leur chemin sous forme d’eau dans le fleuve Saint-Laurent, mais d’autres solutions existent, selon Patrick Evans, professeur à l’UQAM, à la tête du laboratoire de design nordique N360. Il étudie la neige depuis dix ans. «C’est plus qu’un déchet, c’est une ressource énergétique avec un potentiel important», selon lui. Dans plusieurs pays, on offre une seconde vie à la neige, par exemple, en l’utilisant pour climatiser des bâtiments l’été.
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Refroidir un hôpital
En Suède, l’hôpital de Sundsvall a été un pionnier du genre. Depuis 2000, ses 190 000 m2 sont intégralement climatisés par un stockage de neige pouvant accueillir jusqu’à 60 000 m3. En un an, ce système répondait déjà à 75% des besoins. L’hôpital n’a besoin que de 10% de la neige récoltée localement en un hiver. Cet «or blanc» est d’abord déposé dans un bassin, puis recouvert de copeaux de bois pour que la neige fonde moins rapidement. L’eau de fonte est ensuite filtrée avant d’être pompée vers le système de refroidissement de l’hôpital.
Refroidir un aéroport
L’aéroport d’Oslo en Norvège est aussi un exemple à suivre, selon Patrick Evans. En 2017, un système de refroidissement similaire à celui de l’hôpital de Sundsvall a été mis en place pour assurer le confort des millions de passagers qui l’empruntent. Les 50 000 m3 de neige stockés en hiver aident à rafraîchir l’intérieur du bâtiment en été. Grâce à plusieurs initiatives, ses émissions de gaz à effet de serre ont été divisées par trois entre 2017 et 2021. Cet aéroport est ainsi considéré comme le plus vert au monde. Le système de refroidissement avec neige réduirait son empreinte carbone de 31 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 15 allers-retours Vancouver Montréal en voiture. Selon Patrick Evans, la neige entreposée dans le principal site d’entassement de Montréal pourrait refroidir 100 aéroports.
Refroidir un centre de données
La croissance effrénée des technologies de l’information rend de plus en plus importants le stockage et la distribution des données dans des bâtiments appelés des centres de données. Ces installations informatiques consomment beaucoup d’énergie pour fonctionner sans interruption. Le Japon, huitième acteur du secteur, a anticipé cette demande en créant une climatisation à partir de neige dès 2004. À Hokkaido, une île à 1000 km au nord de Tokyo, il neige de novembre à avril. L’entreprise White Data Center utilise la neige des alentours et la place autour du bâtiment. Une fois la neige fondue par la chaleur émanant des serveurs, l’eau circule dans le système de climatisation, maintenant la température à 25 degrés Celsius. Selon Kota Honma, le directeur du centre, cette technologie a permis de diviser par deux les coûts de refroidissement. À Bibai, la municipalité où se trouve ce centre, la Ville dépense quatre millions de dollars pour déneiger huit à dix mètres de manteau blanc qui tombe par an. Le White Data Center pourrait alléger ce fardeau sur les dépenses publiques. Cette solution aurait sa place au Canada, qui compte plus de 320 centres de données, se hissant à la cinquième place mondiale de cette industrie.
Canada: ils y ont pensé
À Ottawa, une étude sortie en 2008 avançait que la neige se trouvant dans le site du dépôt Conroy aurait la capacité de refroidir 40 bâtiments, soit une valeur énergétique annuelle proche de 2 millions de dollars. Le projet n’a pas eu de suite à cause du manque de place en Ville et de son coût élevé. Plus récemment, en 2016, des ingénieurs de l’Université de la Colombie-Britannique Okanagan (UBCO), à Kelowna, ont étudié la possibilité d’amasser la neige ensevelissant les routes canadiennes en vue des mois d’été. Selon le professeur Kusan Hewage, un quartier de 200 à 300 maisons pourrait être climatisé tout au long de l’été grâce à la neige occupant une superficie équivalente à celle d’un terrain de jeu. À Montréal, «il faut faire des projets pilotes pour éviter de devoir agrandir notre système d’hydroélectricité qui va être encore être plus en demande l’été à cause des canicules», résume le professeur Patrick Evans.