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Culture

Claude Dubois n’a jamais été intéressé par le vedettariat

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Photo portrait de Louise Deschâtelets

Louise Deschâtelets

2023-06-13T13:30:00Z
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Claude Dubois fait partie de cette catégorie de personnes sur qui le temps ne semble pas avoir de prise. Au fil des ans, sa voix puissante et son allure de gamin ne l’ont jamais quitté. Toutefois, comme la rumeur n’épargne personne, je me demandais, en allant à sa rencontre pour cette entrevue, si le cancer de la moelle osseuse qui l’a frappé violemment en 2016 ou les problèmes de cordes vocales qui l’ont obligé à annuler quelques spectacles l’an dernier avaient pu altérer sa proverbiale énergie. Rassurez-vous, chers lecteurs et lectrices, il est dans une forme spectaculaire! La même qui émanait de lui il y a 50 ans.

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Claude, comment va la santé?

Ça ne peut pas aller mieux, dans le sens qu’il y a des choses qui sont irréversibles. La moelle osseuse, ça fait partie de ça... Alors, comme la mienne est endommagée, elle va rester comme ça. Autrement dit, la maladie sommeille en moi.

Est-ce que ça t’handicape de rester ainsi inquiet d’une possible récidive?

Effectivement, ça pourrait me bloquer complètement, mais ce n’est pas le cas. Si tu réfléchis deux secondes... Quand tu traverses la rue, ne cours-tu pas le risque d’être frappé? Dis-moi... Dans le monde dans lequel on vit présentement, est-ce que les gens sont vraiment en sécurité? Pour dire vrai, le temps me frappe plus fort que mon cancer.

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Quand tu dis «le temps», est-ce que tu parles de vieillissement?

De l’environnement et, oui, je parle du vieillissement. Quand je regarde ceux qui se moquent des vieux et qui les méprisent, je ne souhaite pas être à leur place, parce que ce qu’ils ne savent pas, c’est que le vieillissement va les frapper fort un jour.

Est-ce que tu penses que c’est la maladie qui t’a fait prendre conscience de la valeur du temps?

C’est définitivement le peu d’attention que j’ai porté au temps au cours de ma vie. Moi, j’ai passé la majeure partie du temps à ne pas me rappeler exactement l’âge que j’avais. Ça n’avait tellement pas d’importance. Mais aujourd’hui, la vie et les gens me le rappellent... Et le miroir aussi!

Mais comme tu as toujours été un séducteur, j’imagine que ça ne doit pas trop te déranger...

Ce n’est pas vrai, même si on a souvent dit ça à propos de moi. J’admets que j’ai été bien entouré une bonne partie de ma vie, mais quand je l’ai réalisé, j’ai décidé volontairement d’apprivoiser la solitude. Et, par la suite, j’ai passé de grandes parties de ma vie en solitaire caché dans ma forêt. J’ai beaucoup voyagé de par le monde en solitaire également.

Ce goût d’être en gang, en clan, est-ce que ça te venait de ta famille?

Pas de ma famille immédiate, puisqu’on n’était que quatre frères, mais de la famille élargie, surtout celle du côté de mon père. Chez ma marraine, ils étaient plusieurs à table. Le party était là, c’était la totale! J’avais aussi un lien très fort avec mon voisin d’en face, Fred, un Afro-Québécois, un ami avec qui j’ai grandi. Il était pour moi plus qu’un frère, il était plus vedette que moi, vu la rareté des gens de couleur à l’époque. Des années plus tard, quand il venait à notre chalet à Asbestos, il donnait des concerts de R&B.

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Toi qui as toujours été une vedette, mais qui as connu ce que c’est de faire son chemin dans ce métier-là, comment vois-tu çaaujourd’hui?

Je ne sais pas si j’ai toujours été une vedette, car j’ai vécu longtemps à Paris au début de ma carrière... Et à part le fait que les gens pouvaient m’entendre à la radio, je ne représentais pas grandchose pour eux. C’est à partir du moment où j’ai fait de la télé régulièrement à Radio-Canada, à Décibels, et ensuite à CFTM (aujourd’ hui TVA), à l’émission Showbizz, qu’on a commencé à me reconnaître dans la rue. Je tiens à préciser cependant que je n’ai jamais fait de la musique pour être connu. J’en faisais parce que la poésie me charmait. Je n’ai jamais été carriériste. Et si je l’avais été, j’aurais pu profiter de mon amitié avec Albert Grossman, le producteur de Bob Dylan, qui s’est beaucoup intéressé à moi et à mon travail à un moment donné. Il me disait: «Why don’t you sing in a language that we understand?» J’étais tellement obsédé d’abord par la solidarité entre Québécois et par la francophonie qu’il était hors de question que je fasse ça. C’est mon amour de la musique et de la poésie qui a fait de moi une vedette.

Tu pourrais ajouter aussi la qualité de tes compositions. Parce que tu dois admettre que tes œuvres qui sont devenues des classiques sont nombreuses. À titre d’exemple, dans les six derniers mois, j’ai assisté à trois cérémonies funéraires où le premier choix musical était Si Dieu existe...

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Oui, ça, je te l’accorde. J’ai fait beaucoup de tounes que le monde aime. Et dans le cas de celle que tu cites, je pense qu’elle permet aux gens — même si elle ne parle pas pantoute du ciel comme on nous le propose dans la religion catholique — d’espérer qu’il y ait une suite après la vie terrestre. Ça permet de soulager l’angoisse de la mort. Ça n’affirme ni n’infirme que Dieu existe vraiment. Ça reflète juste mon amour de l’humain, de la nature, ainsi que de la faune et de la flore qu’on doit respecter en tant qu’êtres humains. 

Pour revenir à la famille... Est-ce que c’était une nécessité pour toi d’avoir des enfants?

Oui, même si, dans le cas des deux plus vieux, qui me semblent aujourd’hui plus vieux que moi, c’était moins conscient. Dans le cas des deux plus jeunes, je voulais les avoir. Ça me touche de penser que mon fils a 12 ans, l’âge que j’avais quand j’ai fait mon premier disque, Claude Dubois et ses montagnards, que juste ma mère a acheté je pense. 

Est-ce que tu écris toujours?

À un rythme plus lent et mon écriture tombe de plus en plus dans ma biographie. Dans les derniers mois, ma gérante Nathalie Charest et moi, avons beaucoup travaillé à monter le nouveau spectacle Dubois solide en liberté. Une réunion entre le coffret Dubois solide, paru en 2021, et le spectacle qui a tourné de janvier 2017 à novembre 2022. Les gens qui ont aimé le spectacle Dubois en liberté seront ravis par Dubois solide en liberté, un spectacle différent, plus long, avec de nouveaux musiciens... mais toujours les chansons préférées du public.

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On dit que l’histoire se répète à intervalles réguliers. Ne trouves-tu pas que tu étais un précurseur en abordant dès les années 1960-70 plusieurs thèmes qui sont aujourd’hui d’une grande actualité?

En 1965, quand je chantais dans les boîtes à chansons quelque chose comme «Toi qui vis à la ville, dans la fumée / Quand tu ne pourras plus penser, méfie-toi de la pollution», les gens pensaient que j’étais sur un trip d’acide. Aujourd’hui, on est en plein dedans: on ne parle que de catastrophes annoncées. 

Je trouve que tu es le prototype contemporain du poète de jadis dont on disait qu’il était un précurseur de la pensée sociale par sa capacité de prédire ce qui allait arriver...

C’est toi qui le dis! Moi je n’irais jamais jusque-là, même si j’ai souvent écrit sur des sujets qui sont encore aujourd’hui dans l’air du temps. Je trouve même parfois terrible d’avoir eu raison en écrivant des choses comme Apocalypse, par exemple.

On peut affirmer sans se tromper, Claude, que ton œuvre est en grande partie intemporelle et que tous les thèmes abordés risquent de rester à jamais d’actualité...

J’accepte le compliment, mais je n’ai jamais écrit en fonction de ça. J’ai toujours écrit ce que je ressentais au plus profond de moi. Tant mieux si ça parle encore au monde aujourd’hui, ce que je constate d’ailleurs quand je donne mes spectacles et que les gens chantent avec moi ou me demandent leurs chansons préférées.

Depuis tes débuts, le métier a tellement changé et les auteurs-compositeurs-interprètes ont tellement de mal à gagner leur vie vu la prolifération des plateformes de diffusion, sur lesquelles ils n’ont plus de contrôle... Est-ce pour cela que tu as décidé de revenir sur scène?

Je ne l’ai jamais quittée. La scène a toujours été mon médium préféré, même très jeune dans ma vie. La rencontre personnelle avec le public était magique sur scène. C’est la seule place où on reçoit son avis en direct. C’est autant un défi qu’une rencontre.

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Ta vie privée, tu la vis de façon très privée puisque tu es allé t’installer en forêt. Est-ce pour compenser la grande promiscuité que tu as avec le public, à qui tu appartiens d’une certaine façon?

C’est vrai que je sens cette possessivité du public à mon endroit, mais ce n’est pas la raison qui m’a poussé à m’installer dans le bois. Moi qui ai passé mon enfance au cœur de la ville de Montréal, j’avais été émerveillé par le camp Bruchési, dans les Laurentides, où mes parents m’avaient envoyé. J’étais resté fasciné par la nature sauvage qui m’entourait, et dès que j’ai eu les moyens d’y vivre, je m’y suis installé. 

Es-tu heureux?

En grande partie, je dirais oui. Mais je trouve quand même qu’on vit dans un monde de fou et que trop de gens font mine d’ignorer la catastrophe écologique qui nous guette. Moi, j’ai une conscience aiguë, et ça me fatigue. Mais je préfère quand même souffrir de savoir ce qui se passe plutôt que l’ignorer. 

Juste avant de quitter Claude, sa gérante Nathalie me signale que l’amour de Claude pour la scène et son public ne s’est jamais démenti, même dans la maladie. Son cancer dort, mais lui est bien réveillé. Claude, c’est un rassembleur de générations. Cet homme est une force de la nature. C’est Dubois solide en liberté.

Pour les dates de son nouveau spectacle Dubois solide en liberté et l’accès à la boutique consultez le site claudedubois.ca.

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