Cher, le baseball ? Pas à Tampa Bay
Jessica Lapinski
L’administration des Rays de Tampa Bay semble avoir trouvé la recette pour gagner sans dépenser, dans une ligue où la majorité des équipes n’hésitent pas à accorder des dizaines de millions de dollars à leurs meilleurs joueurs.
«C’est le meilleur exemple de comment gérer une équipe de baseball avec peu d’argent », analyse l’ex-Expo Warren Cromartie, qui suit de près les Rays, compte tenu de leurs liens potentiels avec Montréal.
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Cette recette parfaite pour les petits marchés de baseball, les gens qui suivent de près l’organisation dotée d’une masse salariale de 71 millions $ (loin des Dodgers et de leurs 282 M$) la qualifient de combinaison « d’intelligence et d’originalité ».
Car si le joueur le mieux payé des Rays est le voltigeur et frappeur désigné Nelson Cruz, le vétéran constitue une anomalie dans la formation de Tampa Bay.
Son contrat de 13 millions $, ce sont les Twins qui lui ont accordé, avant de l’échanger à Tampa à la mi-saison.
Le directeur général Erik Neander n’a pas l’habitude d’offrir autant d’argent à un joueur, et surtout à 41 ans. Chez les Rays, on ne paie pas des joueurs plus âgés pour les succès passés.
Des «ventes de feu»
Derrière Cruz pointe Kevin Kiermaier (8,9 M$ en moyenne par année). Et Kiermaier, qui en est à sa neuvième saison avec l’équipe, constitue l’autre anomalie de cette formation 2021 des Rays.
Car Neander n’a pas non plus l’habitude de garder ses joueurs aussi longtemps.
Durant l’entre-saison, malgré la participation de son club à la série mondiale – perdue en six matchs face aux Dodgers – le DG a laissé partir 10 joueurs, dont leurs as lanceurs Blake Snell et Charlie Morton.
C’est la formule habituelle des Rays. Laisser partir leurs joueurs importants au moment où ils vont toucher des contrats plus onéreux.
À Montréal, il y a eu une époque douloureuse où l’on appelait cela une « vente de feu ».
Mais dans la baie de Tampa, il semble pour l’instant toujours exister une solution pour remplacer les meilleurs joueurs de l’équipe.
Avec ces pertes, peu d’experts croyaient aux chances des Rays de dominer encore cette saison.
Et cette solution est parfois inusitée. Car sans Snell et Morton – qui ont tous deux lancé pour les Rays en Série mondiale l’an dernier – et privé de Tyler Glasnow, blessé, le gérant Kevin Cash a cette année fait appel à un comité de lanceurs (voir boîte info).
Du bon recrutement
Au-delà du directeur général, il y a aussi le travail de dépistage accompli par les hommes des directeurs Rob Metlzer (recrutement amateur) et Kevin Ibach (recrutement professionnel) .
Parmi les meilleurs exemples du travail accompli par Metlzer, il y a la filière d’espoir des Rays, qui figure au premier rang de la ligue.
Ils misent notamment sur le meilleur espoir de la ligue, l’arrêt court et premier-but Wander Franco.
Parmi les meilleurs exemples récents du travail de Ibach, il y a celui du voltigeur Randy Arozarena (voir boîte info).
Joueur par excellence des dernières séries dans la Ligue américaine, le Cubain de 26 ans n’était pas considéré comme l’un des meilleurs espoirs des Cards quand les Rays ont fait son acquisition en janvier 2020, en compagnie de Jose Martinez.
Martinez ne joue plus pour les Rays, il est rendu chez les Mets. Mais à nouveau cette année, Arozarena figure parmi les meilleurs joueurs à St. Petersburg.
Au total, les salaires des cinq meilleurs frappeurs des Rays avoisinent les 16 M$. Du lot, Arozarena et Yandy Diaz ne sont pas encore passés par le processus d’arbitrage.
Cela découle d’un autre grand principe des Rays : former des hommes de baseball talentueux.
Et s’ils en ont perdu au fil des ans, ce n’est pas le cas du DG Neander, dont le contrat vient d’être prolongé pour trois ans.
Neander, âgé de seulement 38 ans, est arrivé avec l’équipe en 2007. D’abord embauché pour monter la banque de données des Rays, il a gravi les échelons rapidement, étant nommé directeur général en 2016.
Sa première décision d’importance ? Échanger la grande vedette Evan Longoria, contre le gré des fans. Le but avoué ? Économiser.
Une recette gagnante était née.
Aussi bons que les autres, peu importe combien ils gagnent
La masse salariale, ça ne veut rien dire dans l’entourage des Rays
Atteindre les séries éliminatoires trois années de suite dans la MLB, c’est un fait d’armes en soi. Mais le faire avec une masse salariale d’environ 71 millions $, c’est un exploit dans cette ligue où seulement 10 équipes jouent encore au baseball en octobre.
Surtout en affrontant 38 fois au cours de la saison les Yankees (201 M$, selon le site Fangraphs) et les Red Sox (193 M$), deux des équipes les mieux nanties de la MLB.
Ils doivent bien faire quelque chose de spécial, les Rays, pour maintenir une pareille cadence année après année, non ?
Eh bien... non, estime Kevin Cash. Pour le gérant de l’équipe, ça s’appelle simplement du talent.
«La façon la plus facile de l’expliquer, c’est que nous avons de très bons joueurs. Ces équipes, elles en ont de très bons aussi. Mais nos joueurs trouvent le moyen de gagner soir après soir. Ils le font de façon constante», a-t-il affirmé au Journal, cette semaine.
Du talent, et un peu de chance, croit le voltigeur Brett Phillips.
Héros des Rays dans le quatrième match de la Série mondiale 2020 face aux Dodgers — il avait frappé le coup sûr décisif en fin de neuvième manche à sa troisième présence au bâton des éliminatoires — Phillips en sait d’ailleurs quelque chose.
«Le succès vient du talent, mais il y a une partie de chance aussi. Et la chance arrive aux bonnes personnes», souligne Phillips, natif de Seminole, à quelque 20 minutes de route du Tropicana Field. Cette notion de bonté, elle est souvent évoquée dans l’entourage des Rays.
Ce n’est pas étonnant dans le cas de Phillips, sûrement l’un des joueurs les plus souriants du baseball majeur.
Mais on nous souligne aussi que les joueurs ont du plaisir à jouer dans la région de Tampa. « Les administrateurs de l’équipe sont fiers d’amener du talent ici, mais ce sont aussi de bonnes personnes. Souvent, c’est l’un ou l’autre. Mais pas ici », raconte le voltigeur.
«Aussi bons»
Et cette masse salariale de 71 M$, presque trois fois plus basse que celle des Yankees, qu’ils ont battus neuf fois en 16 occasions jusqu’à présent cette année ?
Ça ne les rend pas fiers, les «pauvres» Rays, de battre les grandes équipes riches sur une base régulière?
«Ce qui compte, c’est que nous gagnions, peu importe, affirme Phillips. On ne dit pas : “Hey, regardez notre masse salariale!” Nous pensons que nous sommes aussi bons que les joueurs qui font plein d’argent dans une autre équipe.»