«Chaque période de vie a ses beautés...» -Béatrice Picard
Michèle Lemieux
À 90 ans, Béatrice Picard poursuit ses activités avec un enthousiasme rare. Veuve depuis neuf ans, la comédienne s’est tissé un quotidien bien rempli. Outre son métier, sa famille et ses amitiés, la dame poursuit ses engagements dans la communauté. Elle a d’ailleurs été l’une des femmes qui ont soutenu la maison d’hébergement La Dauphinelle l’automne dernier.
Madame Picard, vous travaillez toujours, vous vous êtes mariée à 75 ans... Vous ne semblez pas tenir compte de l’âge! Vous avez encore l’audace de monter seule sur scène...
Oui, et c’est important de la conserver. Je crois que, dans la vie, si on veut avancer, il faut avoir des rêves. Certains se réalisent, d’autres non, mais il faut tenter d’y arriver par tous les moyens possibles. Je ne me sens pas vieille... (rires) Si je me suis mariée à 75 ans, c’est que j’avais retrouvé l’amour! Mon mari avait un handicap, mais il était tellement beau et tellement gentil!
Cette situation vous a-t-elle demandé beaucoup de dévouement?
Surtout les derniers temps. Il a eu trois cancers. Il ne s’est jamais plaint. Je pressentais pourtant qu’il devait souffrir. Il adorait la France et, lors de notre dernier voyage, nous avons apporté son fauteuil roulant. J’avais loué une auto, et nous avons fait le tour de la Bretagne en voiture.
Quand est-il décédé?
Je suis veuve depuis 2010... Ç’a été bref parce que nous nous sommes mariés en 2004; ça faisait trois ans que nous nous connaissions. Nous avions fait les choses dans les normes: nous nous sommes rencontrés, puis fiancés, et enfin, nous nous sommes mariés. Ce furent de très, très belles années. Cet homme m’a offert des fleurs toutes les semaines: chaque samedi, je recevais six roses. Le jeudi, j’avais toujours une lettre accompagnée d’un poème qu’il avait choisi spécialement pour moi.
Quel compagnon de vie formidable vous avez eu!
Il était d’une telle délicatesse! Je lui disais qu’il m’avait mise sur un piédestal, mais que je ne voulais pas en retomber. Je n’en ai pas eu le temps... Nous avions des échanges agréables. Nous avions beaucoup de respect l’un pour l’autre. Ça fait aussi partie de l’amour.
Vous êtes veuve, mais vous semblez vous être bâti une vie agréable. Composez-vous bien avec la solitude?
Je sors beaucoup, je vais au théâtre, au cinéma, je vois des concerts. Le soir, je ne conduis plus mon auto, parce que ma vue ne me le permet pas, mais je prends le métro. J’ai recommencé à prendre des leçons de piano. Je joue pour le plaisir. Comme j’ai de la difficulté avec mes doigts, ça m’aide un peu. L’amitié occupe aussi beaucoup de place dans ma vie. Parfois, quand je n’ai plus rien à faire, je reste à la maison et je procrastine.
Avez-vous toujours été aussi active?
Oui, j’ai toujours élevé mes enfants tout en travaillant. J’ai quatre garçons. À l’époque, il n’y avait pas de CPE. Il fallait faire venir des gardiennes chez soi pour aller travailler.
Combien de petits-enfants vos fils vous ont-ils donnés?
J’ai neuf petits-enfants et six arrière-petits-enfants. Je suis restée très proche de ma belle-famille. Du côté de mon mari, il y a 15 petits-enfants et 5 arrière-petits-enfants. Je suis bien entourée.
Vous avez publié votre biographie dans laquelle on voit des photos de jeunesse. Vous rendent-elles nostalgique?
Certains regardent leur passé en se disant que c’était le bon temps, mais ce n’est pas mon cas. Je crois que chaque période a ses beautés...
Qu’est-ce qui vous occupe sur le plan professionnel?
Je participe à des ateliers au CEAD (Centre d’essai des arts dramatiques). J’ai un projet qui est en réécriture pour l’instant. Je devrais jouer dans une pièce en solo ce printemps.
En outre, vous avez accepté de vous engager pour La Dauphinelle. Pourquoi cette cause?
Parce qu’on constate de plus en plus chez les hommes une soif de vengeance envers les femmes. S’ils en arrivent à tuer leurs enfants, je peux imaginer ce qu’ils ont fait vivre à leur femme! Il ne faut plus que ça se produise. À défaut d’amour, il faut au moins se témoigner du respect, même si on se sépare. On peut être en colère, mais la vengeance n’a pas sa place. Je veux passer ce message aux femmes: ce besoin d’aimer et d’être aimées fait en sorte que, bien souvent, nous n’avons plus la tête sur les épaules. Avec un homme manipulateur, certaines font le vide autour d’elles: elles n’ont plus d’amies, plus de famille.
Vous faites preuve d’une grande compréhension envers elles.
Je comprends qu’on puisse se laisser emporter par la passion, j’ai fait la même chose! J’ai été passionnée moi aussi, mais il ne faut pas s’isoler. Cette cause me bouleverse parce qu’une femme proche de moi a vécu cette situation. Une femme brillante. Heureusement, elle s’en est sortie. Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard... Je m’occupe aussi des personnes âgées seules. Je suis aussi la marraine des Petits Frères.
- La biographie de Béatrice Picard, intitulée Avec l’âge, on peut tout dire, est maintenant disponible en version livre audio.
Un geste pour La Dauphinelle
Fondée en 1982, La Dauphinelle est une maison d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants. Récemment, durant les 12 jours d’action pour l’élimination des violences envers les femmes, l’équipe de La Dauphinelle a mené une campagne de sensibilisation avec 12 femmes influentes issues des milieux artistique, politique et des affaires, notamment Béatrice Picard. Le 28 novembre a eu lieu la deuxième soirée-bénéfice. «Avec le mouvement #MeToo, on sent la volonté de dire: “Ça suffit!”» lance Sabrina Lemeltier, directrice générale de La Dauphinelle. «Quand une femme est victime de violence conjugale, c’est toute la famille qui est touchée. On peut se rendre sur notre site internet pour faire un don en ligne. Il n’y a pas de petit don. Douze dollars, c’est trois repas par jour à La Dauphinelle...»
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