Fissures à prévoir avec les changements climatiques

Francis Pilon | Journal de Montréal
Les résidents de cinq triplex d’une même rue à Montréal se sont réveillés ce mois-ci avec la mauvaise surprise de voir une immense fissure dans leur cour arrière qui serait causée par les changements climatiques.
« On a tous peur pour l’immeuble. C’est arrivé rapidement durant la nuit et on n’a pas entendu de boum ou de tremblement de terre », raconte Alison Marchante
Cegovia, en regardant la craque de 5 centimètres de large et plus d’un mètre de profondeur entre sa maison et son terrain.
Ses voisins de la rue Taillon, dans le quartier Tétreaultville, ont eu le même choc en constatant les dégâts le matin de l’Action de grâce. Ils doivent désormais vivre avec la crainte permanente de voir les fondations céder.

« C’est capoté. On n’avait jamais vu ça. Même les inspecteurs de la Ville de Montréal nous ont dit que c’était une première quand ils sont venus voir les dégâts », lance en entrevue avec Le Journal Justin Addison, l’un des propriétaires de ces immeubles.
Selon l’Arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, une « cause naturelle » serait à l’origine du phénomène sur la rue Taillon, où des habitations ont été construites sur de l’argile.
« Il est possible d’affirmer que les sols argileux sont sensibles à la sécheresse et que les bâtiments construits sur ceux-ci sont plus susceptibles de subir un affaissement de sol lorsque l’argile s’assèche », explique la chargée de communication pour l’Arrondissement, Jeanne Fournier.
« En raison des changements climatiques, il est anticipé que ce phénomène ira en s’accélérant », ajoute-t-elle.
Travaux à proximité
Pour sa part, M. Addison croit que la Ville de Montréal doit examiner les chantiers de construction près de son immeuble.
« Il y a des travaux partout autour de notre rue et beaucoup de vibrations. Il faudrait voir si c’est fait intelligemment. Ils vont faire du dynamitage bientôt à 500 pieds de chez nous. J’ai peur que ça sacre le camp pour vrai », confie-t-il.
« Après vérifications, cette situation ne serait pas liée à des travaux effectués dans le secteur », soutient toutefois Mme Fournier.
M. Addison est désormais contraint de dépenser des dizaines de milliers de dollars pour faire « pieuter » sa fondation lézardée. En temps normal, la Ville offre de l’aide financière aux propriétaires pour ce genre de travaux avec son programme de subvention à la rénovation RénoPlex.

Le hic, c’est que ce programme est victime de son succès. La Ville n’accepte plus aucun dossier depuis juillet. Les propriétaires pourront à nouveau déposer une demande, mais seulement en janvier.
« Rien ne nous dit qu’ils vont accepter notre demande en janvier prochain. J’aimerais que cet enjeu-là aille devant l’Assemblée nationale parce que la Ville et les politiciens à Montréal disent qu’ils ne peuvent rien faire de plus pour nous. [...] Et on sait aussi qu’il risque d’en avoir encore plus des fondations qui craquent avec les changements climatiques », dénonce M. Addison.
Projet de retraite
Pour le jeune homme de 28 ans, ce ne sont pas seulement les murs qui ont fissuré ce mois-ci, mais son plan de retraite aussi.
« J’ai acheté il y a cinq ans et je m’étais dit : bon deal. Mais là, disons qu’on aime un peu moins ce qu’on a », conclut-il.
De plus en plus de résidences à risque de craquer
Un climatologue se dit « extrêmement préoccupé » pour les maisons construites sur un sol argileux puisqu’elles risquent de se détériorer davantage au cours des prochaines années avec la crise climatique.

Climatologue
« On a remarqué cet été que plusieurs résidences sur un sol argileux ont vu leur fondation fissurer en raison du temps sec. Sans eau dans le sol, le terrain perd sa portance. On voit donc de plus en plus d’immeubles avec des crevasses et des fondations endommagées », explique Philippe Gachon.
Il affirme que l’été dernier a battu des records de sécheresse dans plusieurs régions, dont à Montréal.
« Je suis extrêmement préoccupé. C’est un problème à court terme et ça va juste amplifier avec les changements climatiques. On ne le dira jamais assez : le cycle de l’eau est en train de se modifier de façon majeure dans le contexte de réchauffement qu’on subit », insiste le climatologue.
Adapter nos constructions
Il précise que le problème des maisons qui craquent pourrait s’aggraver cet hiver avec les épisodes de gel et de dégel. Il rappelle aussi que trop d’eau dans un sol argileux peut mener à des glissements de terrain comme ceux vécus durant les inondations catastrophiques du printemps 2017 au Québec.
« Il va falloir revoir notre façon de penser et de construire au Québec et ailleurs dans le monde. Il faudra peut-être utiliser des matériaux qui sont plus adaptés aux changements climatiques et aux changements hydrologiques. Il faut se faire à l’idée de vivre désormais avec des périodes très sèches et d’autres avec plusieurs excès d’eau », prévient M. Gachon.
Des milliards de dollars
Selon une étude publiée le mois dernier par l’Institut canadien pour des choix climatiques, la modernisation des infrastructures pour atteindre des normes acceptables coûterait plusieurs milliards de dollars par année à l’échelle du pays.
« Le coût des dommages et des perturbations associés aux changements climatiques qui affectent les infrastructures du Canada, lesquelles sont vulnérables en raison de décennies de sous-investissement, pourrait être majeur », peut-on y lire.
– Avec Élizabeth Ménard, Agence QMI