Changement de ton avec le Canada

Guillaume St-Pierre – analyse
OTTAWA | Exit le gouverneur du beau et grand 51e État américain. Le Canada a retrouvé son statut de pays souverain avec à sa tête un premier ministre en la personne de Mark Carney, dans la bouche de Donald Trump. Que s’est-il passé ?
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L’appel entre le président et M. Carney, en pleine guerre commerciale qui risque de prendre de l’ampleur dès la semaine prochaine, a été cordial et productif, ont laissé entendre les deux parties.
Le contraste avec les insultes envoyées à la face de Justin Trudeau pendant des mois est frappant.
Au-delà du ton plus courtois, Mark Carney n’a obtenu aucune garantie. La conversation était seulement le point de départ d’une éventuelle négociation commerciale qui se fera après les prochaines élections fédérales, que M. Carney y soit ou non.

Du progrès, donc, mais pas de promesse.
Tout de même, M. Trump filait tout doux avec le Canada. Dans le Bureau ovale en après-midi, il a même exclu le Canada des pays maudits qui « profitent » des États-Unis.
« Nous allons aboutir à une excellente relation avec le Canada et avec beaucoup d’autres pays », a dit le président en conférence de presse.
Que se cache derrière ce changement de ton ? Cela va-t-il durer ? Y a-t-il moyen de repartir sur de nouvelles bases ?
Il serait très hasardeux d’y voir quoi que ce soit de scellé dans le roc.
Donald Trump fonctionne selon sa propre volonté, que ce soit logique ou non. Il pourrait très bien repartir avec ses insultes dans 48 heures en pleine nuit sur son réseau social.
Des cartes en main
Osons tout de même avancer que Mark Carney, dans ce grand jeu de poker mondial qui voit les plaques tectoniques bouger, possède certaines cartes que Justin Trudeau n’avait pas.
D’abord, il y a fort à parier que Donald Trump connaissait le nom de Mark Carney avant même qu’il devienne premier ministre.
Il a été à la tête de deux banques mondiales, a frayé avec les grands de ce monde dans les clubs privés les plus sélects, a été à la tête d’un fonds d’investissement canadien, Brookfield, qui est l’un des plus importants de la planète dans son domaine.
Plus important encore, Brookfield a permis au gendre de Donald Trump en 2018 d’éviter une faillite, en signant un bail de 99 ans pour un immeuble de Manhattan qui plombait l’entreprise familiale.
Le même langage
C’était avant l’arrivée de M. Carney, mais ce dernier avait rejoint le fonds lorsque les démocrates se sont mis à enquêter sur la transaction en 2020, sans grand succès.
Puis, en 2022, une branche de Brookfield qui faisait dans le capital de risque a fourni des fonds pour aider Elon Musk à racheter Twitter, maintenant connu sous le nom de X.
Bref, il n’y a aucun doute que Mark Carney sait parler la même langue de l’argent et de la business que Trump.
M. Carney prétend justement qu’il s’agit de son principal avantage. Or, il n’est pas immunisé au discours ambiant sur les « élites déconnectées ».
Vulnérable
Pire, il a eu tendance, en ce début de campagne, à s’en rendre plus vulnérable.
Il s’est entre autres défendu d’avoir géré des fonds d’investissement inscrits dans un paradis fiscal en soulignant qu’il comprend « comment le monde et ces structures fonctionnent ».
Cela étant dit, le vice-président J.D. Vance a vite rappelé à quel point l’administration Trump peut être imprévisible et disloquée.
En commentant les représailles canadiennes, Vance a souligné que le Canada n’a « tout simplement pas les cartes en main » pour gagner la guerre commerciale.
En bon gestionnaire des attentes, Mark Carney admet que nos représailles ont des limites, puisque l’économie américaine est tout simplement trop importante par rapport à la nôtre.
Le mieux que l’on puisse faire, c’est de jouer les cartes que nous avons, et espérer un coup de chance.