CH: génie à Harvard, génie sur la patinoire
Nicolas Cloutier
Que faisiez-vous (ou feriez-vous) à 19 ans? Peut-être découvriez-vous les vices de la rue Crescent ou tentiez-vous encore de trouver votre orientation de carrière.
L’espoir des Canadiens de Montréal Sean Farrell, lui, commençait sa première année à la prestigieuse Université Harvard en pleine pandémie, et ce, alors qu’il empilait les points dans la meilleure ligue junior des États-Unis, la USHL.
La section Ivy League de la NCAA dont fait partie le Crimson de Harvard ayant été paralysée par la COVID-19, Farrell a suivi ses cours en ligne et décidé de disputer une deuxième saison entretemps avec le Steel de Chicago.
Le petit génie en herbe n’a pas eu trop de misère à s’ajuster à l’horaire de son équipe. Bien que le Steel comprenait très bien sa situation et était ouvert à faire preuve de flexibilité en lui offrant des congés, Farrell n’en a jamais demandé. L’école semble assez facile pour lui.
Aux États-Unis, le chiffre magique pour évaluer la performance scolaire est la moyenne pondérée cumulative, appelée communément GPA (Grade Point Average). Le chiffre quatre représente le plus haut score. Celui de Farrell n’est pas piqué des vers.
«Je me situe à 3,5 ou 3,6. Mais ça va monter. J’ai eu quelques cours cet été et je crois qu’ils se sont bien passés», révèle comme si de rien n’était Farrell, qui veut éventuellement se concentrer sur l’économie après avoir complété certains cours de base.
L’éducation a toujours été très importante dans le domicile des Farrell, à Hopkinton, une petite ville du Massachusetts située à une quarantaine de minutes de Boston. «Ma sœur et moi avons toujours pris nos travaux scolaires au sérieux. Il y a une vie après le hockey», souligne avec justesse le jeune homme.
Mais ne craignez pas pour autant que cet espoir prometteur fasse une frayeur aux partisans des Canadiens en tenant mordicus à compléter ses quatre années à l’université avant de signer son contrat d’entrée dans la Ligue nationale de hockey. Une décision qui lui donnerait le loisir de choisir parmi les 32 clubs du circuit.
Jordan Harris, un autre espoir du CH prenant ses études très au sérieux, a cru bon de jouer la fameuse quatrième année à l’Université Northeastern. De telles inquiétudes seraient donc légitimes dans le cas de Farrell.
Toutefois, il n’en est rien.
«Mon but est de jouer dans la LNH, affirme Farrell. Quand les Canadiens estimeront que je suis prêt, c’est à ce moment que je ferai le saut chez les professionnels. En ce moment, je suis le plus de cours que je peux pour avoir pratiquement terminé mes études lorsque j’en serai à ma quatrième année.»
Confondre les sceptiques
On a cette impression que chaque évaluation de Sean Farrell est suivie d’une remise en perspective. D’un astérisque. D’un «oui, mais...».
Déjà, il est surprenant que le petit attaquant ait glissé jusqu’au 124e rang du repêchage en 2020. S’il n’était question que du talent, Farrell appartenait probablement au premier tour. Mais il mesure 5 pi 9 po.
Cette saison, Farrell a pulvérisé la compétition en récoltant 101 points, dont 29 buts, en 53 matchs. Dans l'histoire de la USHL, un seul joueur était parvenu à récolter 100 points en une saison. Farrell a été nommé joueur par excellence du circuit, en plus d’aider le Steel à remporter le championnat.
Encore une fois, il y avait un «mais». Il a réalisé ces prouesses dans une ligue junior à 19 ans alors qu’en temps normal, il aurait dû affronter des adultes dans la NCAA.
Farrell fait fi du scepticisme ambiant. Cela lui est parfaitement égal. Le passage à une ligue comportant des hommes beaucoup plus costauds dans la mi-vingtaine ne le préoccupe pas le moins du monde.
«Pas du tout, fait savoir Farrell, qui s'est vu décerner lundi le titre de joueur de l'année au niveau junior par USA Hockey. Chaque niveau de jeu demande un ajustement, mais je vais m’en sortir, particulièrement avec l’équipe que nous avons.
«Je ne porte pas attention à ce genre de trucs. J’ai confiance que j’aurai une bonne année à Harvard et espérons qu'à partir de là, je progresserai jusqu’à la LNH.»
Qui plus est, Farrell retrouvera à Harvard son compagnon Matthew Coronato, choisi au 13e rang par les Flames de Calgary lors du dernier encan amateur. Les deux joueurs ont fait la pluie et le beau temps en avantage numérique avec le Steel.
Si ce n'était pas assez clair, la prédiction de Farrell est la suivante : il mettra des points au tableau à Harvard dès la saison prochaine.
«Je trouve que mon jeu s’est considérablement amélioré l’an dernier. La production était là, mais mon jeu d’ensemble est rendu tellement supérieur. Offensivement, je pense que je vais transposer ça à la NCAA l’an prochain.»
Parce que si Farrell est brillant sur les bancs d’école, cette même vivacité d’esprit se manifeste sur la patinoire. Toute sa vie, il a dû tenir son bout face à des joueurs plus gros que lui. Il connaît toutes les ficelles.
«Les gros gars veulent juste te coincer contre la bande, alors j’essaie simplement de bouger constamment mes pieds et de sortir des coins le plus rapidement possible», analyse-t-il avec grande lucidité.
D’ailleurs, pour ceux qui n’auraient pas eu la chance de le voir à l’œuvre, il faut avant tout considérer Farrell comme un passeur, bien que ses instincts de marqueur soient surprenants.
«Je me suis toujours vu comme un fabricant de jeu, confie le principal intéressé. Mon plus grand atout est mon sens du jeu (hockey IQ).»
Il estime toutefois avoir plus d’une corde à son arc, lui qui évoluait en infériorité numérique avec le Steel.
«Je suis quelqu’un qui peut également jouer dans toutes les situations. Je retire beaucoup de fierté du fait de jouer à court d’un homme et d’être celui que tu peux envoyer sur la glace en fin de match. Ce sont des choses que je veux continuer à faire à tous les niveaux.»
Le directeur du développement des joueurs du CH, Martin Lapointe, a identifié Farrell comme un espoir de l'organisation passant sous le radar dans un balado au mois de janvier. L'Américain est rempli de promesses, mais il a encore beaucoup de croûtes à manger avant de rejoindre à Montréal un de ses bons amis, un certain... Cole Caufield.
Caufield: aucune surprise
Les deux attaquants ont joué deux ans ensemble au sein du programme de développement américain, à Plymouth, au Michigan.
Farrell était donc bien au fait de ce que Caufield pouvait faire avec une rondelle lorsque le franc-tireur en a mis plein la vue lors des séries éliminatoires.
«Chaque jour à l'entraînement, tu le voyais marquer sur 90% de ses tirs, se souvient Farrell. Ce talent pour marquer des buts est vraiment spécial, et c'est quelque chose qui se transpose d'une ligue à l'autre. Je n'ai pas été surpris de le voir connaître du succès lorsqu'il a obtenu sa chance dans la LNH.»
Au-delà de tout ça, Farrell a le souvenir d'un garçon qui respire la bonne humeur.
«C'est un coéquipier extraordinaire. Tout le monde qui le côtoie dans un vestiaire te dirait qu'il est toujours le gars le plus heureux. C'est plaisant d'être en sa compagnie.»
D'ici les éventuelles retrouvailles dans la métropole québécoise, Farrell aurait peut-être intérêt à choisir le français comme cours de langue étrangère à Harvard.
«J'ai eu des cours de français au secondaire, donc j'ai une petite base. Mais ça fait probablement deux ou trois ans, alors je ne me rappelle pas grand-chose», prévient-il en riant.
À la vitesse à laquelle il apprend, il pourrait se refamiliariser assez rapidement...