Le pétrole du projet Bay du Nord sera-t-il vraiment «propre»?
Andrea Lubeck
Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault justifie avoir donné son aval au projet Bay du Nord, à Terre-Neuve-et-Labrador, avec le fait, notamment, qu’il s’agit d’un projet pétrolier «propre». Mais est-ce vraiment le cas? Des experts se prononcent.
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Comparativement aux autres méthodes d’extraction, il est vrai de dire que l’extraction extracôtière est celle qui émet le moins de gaz à effet de serre (GES), indique Sylvain M. Audette, professeur et membre associé à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.
L’entreprise à l’origine du projet, la norvégienne Equinor, affirme que le projet émettra 8 kg de CO2 pour chaque baril de pétrole extrait. En comparaison, le pétrole issu des sables bitumineux, comme celui que l’on exploite en Alberta, émet plutôt 73 kg de CO2 par baril.
«Ce pétrole-là est moins sale, plus propre. Je n’irais pas jusqu’à dire vert, mais il est, en tout cas, plus éthique ou acceptable», note M. Audette.
Mais pour que l’argument de Steven Guilbeault tienne la route, il faudrait que les 200 000 barils de pétrole produits par Bay du Nord chaque jour en remplacent le même nombre issus d’un projet dont la méthode d’extraction est plus polluante, ajoute le professeur.
15% des émissions de GES
Il ne faut cependant pas oublier que l’extraction compte seulement pour environ 15% de toutes les émissions de GES liées au pétrole. Le reste des émissions (85%) surviennent au moment où il est brûlé. Et à cette étape, le mode d’extraction n’a pas vraiment d’influence sur le niveau d’émissions de GES; elles s’équivalent toutes.
Comme le pétrole produit au Canada est majoritairement destiné à l’exportation, c’est plutôt le pays qui le consomme qui est responsable des émissions de GES pour ce même pétrole lorsqu’il est brûlé. Les émissions ne sont donc pas comptabilisées ici.
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Mais ça ne fait pas de ce pétrole un pétrole plus propre pour autant, estime Émile Boisseau-Bouvier, analyste des politiques climatiques d’Équiterre.
«Produire du pétrole qu’on dit “vert” ou “propre”, c’est une vue de l’esprit: ça n’existe tout simplement pas. Du pétrole, c’est du pétrole: il aura des impacts, peu importe la manière dont il est produit et peu importe où il est brûlé», a-t-il réagi.
Le moindre mal
Reste que dans l’immédiat et dans les années à venir, nous aurons tout de même besoin de pétrole, affirme Steven Guilbeault. Et ce projet, par ses émissions plus faibles de GES, représente le moindre mal, soutient Mark Purdon, professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’UQAM.
«Si le Canada arrête de produire du pétrole, ça ne veut pas dire que les émissions de GES à l’échelle planétaire vont baisser. Comme le pétrole est un marché mondial, d’autres pays vont alimenter la demande», explique-t-il.
Selon lui, vaut mieux prendre exemple sur la Norvège, qui assume sa part de responsabilité de ses émissions de GES comme pays producteur et exportateur de pétrole, mais qui cherche aussi à améliorer la coopération internationale sur les changements climatiques. Le pays prend aussi des mesures pour rendre sa population moins dépendante de l’or noir.
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Mark Purdon plaide aussi pour le développement et la mise en place de technologies de captage et de stockage du carbone de l’air, puisque «nous ne pourrons pas arrêter de consommer du pétrole d’ici 2030 ou 2050». Une solution mise de l’avant par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) dans son plus récent rapport, publié lundi.
«C’est très controversé, mais je pense que c’est un incontournable. On doit trouver un moyen de vivre avec le pétrole, tout en réduisant nos émissions de GES», souligne-t-il.