«Cash for keys»: des locataires acceptent des milliers $ de leur proprio en échange de leur logement
Guillaume Cyr
Connaissez-vous la pratique du cash for keys? C’est lorsqu’un locataire accepte de briser son bail contre des milliers de dollars en compensation, car son propriétaire souhaite l’évincer. Cette entente entre un locataire et son propriétaire permet ainsi à ce dernier de reprendre le logement sans passer par le processus légal de l’éviction.
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Lorsqu’un propriétaire veut reprendre son logement ou évincer son locataire, il doit obligatoirement envoyer un avis formel six mois avant la fin prévue du bail. Le locataire, quant à lui, est toujours en droit de refuser dans un délai d’un mois s’il n’est pas convaincu du bien-fondé de cette décision.
Pour certains locataires, ce procédé permet d’éviter une épuisante bataille judiciaire devant le Tribunal administratif du logement (TAL) et d'amasser un petit coussin financier.
Est-ce une pratique légale?
«C'est tout à fait permis dans notre système de faire une entente entre deux parties opposées comme le cash for keys [...] C’est très commun et toujours une possibilité pour mettre fin au bail», confirme David Searle, avocat au Centre de justice de proximité du Grand Montréal (CJPGM) et spécialiste en droit du logement. Le cash for keys pourrait se traduire en français comme une «entente de départ», même si le terme est moins commun selon l’avocat.
Après la signature d’une entente, les locataires peuvent toujours convoquer les tribunaux et recevoir une compensation s’ils estiment avoir été trompés au moment de la signature. Par exemple, un propriétaire ne peut obliger le locataire à briser son bail ou lui faire signer l’entente sous la contrainte.
Voici donc les témoignages de deux locataires pour qui le cash for keys s’est avéré lucratif et celui d’un propriétaire qui l’utilise fréquemment. Ces derniers ont exigé l’anonymat, car les ententes pour briser le bail contre un montant d’argent sont confidentielles.
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Claudie, locataire
7000$ en compensation
Claudie a reçu un avis d’éviction au printemps 2020 pour l’agrandissement de son logement. Même si elle doutait de la bonne foi de son locateur , elle venait tout juste d’apprendre qu’elle était enceinte et n’avait pas la tête à contester la décision de son propriétaire devant le TAL
Elle lui a donc offert de briser son bail contre la somme de 7 000$. Pour son logement 4 1⁄2 du Plateau Mont-Royal, la locataire payait 730$ par mois, soit bien en deçà des prix actuels du marché.
À sa grande surprise, la locatrice a accepté sans hésitation. «Avoir su, j’aurais entamé les négociations avec un montant plus élevé», observe Claudie en repensant à cette période de sa vie.
Trois ans plus tard, Claudie ne regrette aucunement sa décision : elle a réussi à trouver un autre 4 1⁄2 avec un prix très semblable - 780$ par mois – et habite toujours le même quartier. «Quelques mois après mon départ, j’ai vu que mon ancien appartement maintenant rénové se louait au prix de 1 200$. C’est triste, mais je n’avais pas envie de me battre à ce moment de ma vie», indique-t-elle.
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Lucie, locataire
5000$ en compensation
En mars 2022, en pleine crise du logement Lucie, ne souhaitait pas quitter son appartement à Laval . La jeune mère de famille payait à ce moment 740$ pour un 4 1⁄2 , un prix bien en deçà du marché locatif.
«Le propriétaire nous a s proposé 4000$ pour quitter le logement, car il ne voulait pas nous relocaliser le temps des rénovations. Nous avons d’abord refusé, tout en gardant en tête que nous allions pouvoir négocier un plus gros montant au moment où nous trouverions un nouvel appartement abordable», raconte Lucie.
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Et c’est exactement ce qui s’est produit quelques mois plus tard. En octobre 2022, la locataire trouve un 5 1⁄2 à 940$ dans la région de Lanaudière. Ce logement , plus grand que l’ancien, convient mieux à la famille qui est sur le point de s’agrandir. Elle a donc négocié avec le locateur un montant de 5 000$ et les coûts du déménagement pour leur départ.
«C'était vraiment mieux pour nous. Si jamais je ne trouvais pas de logement, je serais allée en fixation de loyer avec le propriétaire afin de suivre la grille du TAL pour avoir une augmentation justifiée en fonction des rénovations. Il ne s’est pas obstiné pour le montant qu’on a exigé», raconte la locataire. Dans ce contexte, elle invite les locataires à bien connaître leurs droits afin de négocier une meilleure compensation.
Stéphane, propriétaire
Propriétaire de 70 logements dans les environs de Montréal, Stéphane ne cache pas qu’il propose le «cash for keys » à des locataires de longue date afin d’entamer des projets de rénovations et louer les logements au prix du marché.
«En moyenne, je donne environ trois à six mois de loyer en compensation », explique-t-il.
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En revanche, il avoue qu’un locataire peut recevoir une meilleure compensation si ce dernier est dans une position plus favorable pour négocier. Stéphane donne en exemple un locataire de 70 ans protégé par le Code civil contre les évictions. Dans un cas comme celui-là, il dit avoir donné jusqu’à 15 000$ en compensation.
«Comment je dois payer les rénovations de mon logement et être rentable dans mon projet si je suis contraint de suivre les augmentations suggérées par le TAL?», s’insurge le locateur. Selon lui, la période d’amortissement des coûts n’est tout simplement pas viable pour un propriétaire, ce qui justifie l’utilisation du cash for keys.