Publicité
L'article provient de 24 heures
Environnement

Ça ne coûte pas cher de polluer au Québec et au Canada

AFP
Partager
Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-05-10T18:17:19Z
Partager

La taxe sur la pollution au Québec et au Canada n’est pas suffisante pour encourager les entreprises et les citoyens à diminuer leurs émissions, s’accordent les experts, qui préviennent que cette mesure est pourtant capitale pour faire face aux changements climatiques.

Le principe du pollueur-payeur n’est ni nouveau, ni en phase expérimentale, rappelle le rapport L’écofiscalité au Québec de HEC Montréal. 

Le prix du carbone ou la taxe à l’immatriculation sur les moteurs de forte cylindrée : ce sont toutes des mesures mises en place par les gouvernements pour décourager les activités nuisibles à l’environnement, comme conduire un gros véhicule à forte consommation d’essence. 

• À lire aussi: Taxer les VUS comme le propose Québec solidaire, c'est efficace pour réduire les GES, disent des experts

«Le principe du pollueur-payeur existe, mais cette taxe n’est manifestement pas assez élevée. Si on veut diminuer nos émissions, il faut que le bâton soit plus gros que la carotte», souligne l’économiste à l’Université de Sherbrooke et collaborateur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), François Delorme. 

La pollution est en effet plutôt abordable au pays — considérant l’ampleur des défis environnementaux et les sommes toujours plus élevées qu'il faudra dégager pour lutter contre les changements climatiques.

Publicité

Les inondations, comme celles qui ont frappé plusieurs régions du Québec au début du mois de mai, coûteront de plus en plus cher à l'État.
Les inondations, comme celles qui ont frappé plusieurs régions du Québec au début du mois de mai, coûteront de plus en plus cher à l'État. MARTIN ALARIE / JOURNAL DE MONTREAL

Le Québec et le Canada la taxent près de deux fois moins que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon une étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke publiée en 2021. 

Dans la province, les revenus tirés des taxes environnementales équivalent à environ 1,2% du PIB. Pour les autres pays de l’OCDE, ils sont de 2,1% en moyenne. 

Augmenter les tarifs pour diminuer les GES

Mettre un gros prix sur la pollution au pays permet-il réellement de la diminuer? 

Les cinq experts consultés par 24 heures sont unanimes: oui, ça fonctionne. 

Mais encore faut-il que le montant soit suffisamment élevé pour qu’il paraisse sur la facture des pollueurs, mentionne le professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau. 

«C’est ce qu’on constate avec le prix du carbone qui n’est pas assez élevé. Les automobilistes ne le voient pas, ils réagissent peu et ça n’a pas beaucoup d’impact sur la consommation de carburant», illustre-t-il. 

Au Canada, la taxe carbone est passée de 50$ à 65$ la tonne en avril dernier. En 2030, selon Ottawa, elle aura atteint les 170$. 

Au Québec, qui possède son propre système, le prix du carbone est fixé à environ 35$ la tonne et devrait atteindre les 97$ en 2030, selon les prévisions du ministère de l’Environnement. 

Publicité

• À lire aussi: [VIDÉO] Comprendre le marché du carbone en 3 minutes

«C’est bien que le prix du carbone augmente, mais ce n’est pas encore suffisamment élevé», commente le professeur au département d'économie à HEC, Justin Leroux. «On n’arrivera pas à nos objectifs si on continue comme ça.» 

Québec s'est engagé à réduire de 37,5 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport au niveau de 1990 d'ici 2030, et à atteindre la carboneutralité en 2050. 

• À lire aussi: 5 raisons pour lesquelles le Québec va rater sa cible de réduction de GES

• À lire aussi: Les GES du Canada ont augmenté en 2021: 5 choses à savoir sur le bilan des émissions

«0$ ou 35$ la tonne, ça ne change rien», renchérit François Delorme, qui précise que l’idée n’est pas d’augmenter coûte que coûte le prix de la pollution, mais bien d’engendrer des changements de comportements permanents. 

En Norvège, cite l’expert, le gouvernement impose une taxe de près de 100% sur les véhicules à essence, ce qui fait doubler le prix d’achat. Les conducteurs de véhicules électriques sont quant à eux exemptés de cette taxe. 

Résultat: 79% des voitures neuves étaient électriques l’an dernier dans le pays scandinave. 

«Ça, c’est une taxe conséquente. Si on veut faire changer les comportements, répète le professeur Delorme, il vaut mieux taxer que récompenser [avec des subventions]. C’est ce que les études démontrent en économie comportementale.» 

Les droits des grands pollueurs

Le gouvernement Legault annonçait au mois de mars son intention de hausser les droits que doivent payer les grandes entreprises polluantes, dont les activités contaminent l'air et l'eau par exemple. 

Publicité

L’objectif, selon le ministère de l’Environnement, est d’inciter les 85 entreprises qui détiennent une autorisation ministérielle de polluer à réduire de leurs émissions de contaminants, comme l’arsenic et le cadmium. 

• À lire aussi: La «soupe toxique» de Limoilou, le quartier sacrifié

La somme que devront verser les alumineries, cimenteries, usines de pâtes et papiers ou les mines passera de 2,20$ à 9,08$ la tonne, avec un plafond de 2 millions $, peu importe la quantité de contaminants rejetés. 

Mais ce montant n’est toujours pas suffisant, selon les experts. 

Et comme la majorité des entreprises installées au Québec ne détiennent pas cette autorisation, elles ne seront pas assujetties à la tarification des émissions polluantes. 

La Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda.
La Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda.

«Ce n’est pas assez cher de polluer au Québec», signale Justin Leroux de HEC Montréal. 

«Si on met un prix suffisamment élevé sur la pollution, les entreprises vont trouver que ça paraît comme elles veulent diminuer leur coût de production à tout prix. Elles chercheront à émettre moins de déchets et de GES ou à élaborer des solutions technologiques pour réduire leurs émissions.» 

Sans le plafond de 2 millions $ imposé par Québec, la facture annuelle de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, aurait grimpé à 78 millions $ en droit de polluer, illustrent les calculs de Radio-Canada. 

• À lire aussi: C'est quoi le problème de l'arsenic à Rouyn-Noranda?

• À lire aussi: Cancers, troubles neurologiques: voici exactement quels sont les risques d’habiter à côté de la Fonderie Horne

L’entreprise paît actuellement 220 000$ par année. 

Publicité

Pourquoi ne hausse-t-on pas le prix de la pollution au pays?

«Ces moyens sont sous-utilisés au Québec. On mise largement sur les incitatifs avec les subventions, mais on sait que la carotte est moins efficace que le bâton», fait valoir Andréanne Brazeau, analyste des politiques climatiques à Équiterre. 

Elle croit notamment qu’une augmentation trop importante du prix de la pollution serait difficile à faire avaler d’un point de vue politique. 

«On le sait que mettre un prix plus cher sur les véhicules les plus polluants ça fonctionne, mais on ne veut pas déplaire à notre électorat», poursuit-elle. 

AFP
AFP

La vice-présidente à la recherche et économiste en chef au Conseil du patronat du Québec (CPQ), Norma Kozhaya, estime pour sa part qu’en haussant trop rapidement le prix du carbone, on risque de «déplacer le problème». 

«Si on augmente la tarification du carbone et que les autres pays ne le font pas, on se mettra en désavantage. Des entreprises vont fermer et aller s’installer ailleurs, l’activité économique va se déplacer et les émissions vont augmenter ailleurs», dit-elle. 

«C’est clair qu’en ce moment, on n’atteint pas les objectifs qu’on s’est fixés», admet tout de même Mme Kozhaya. «Il faut voir comment on peut atteindre les cibles sans affecter notre capacité économique.» 

Elle affirme que la tarification du carbone au pays est «entre 6 et 7 fois plus élevée» que la moyenne mondiale. 

«On fournit quand même des efforts. Il faut s’assurer qu’il y ait une certaine cohérence avec les autres. Au Québec, on ne vit pas en vase clos. On est en concurrence avec d’autres provinces et d’autres pays. C’est un problème auquel il faut s’attaquer, mais avec la nuance qu’il ne faut pas déplacer le problème», réitère-t-elle. 

Publicité
Publicité