Les banques canadiennes émettent 2,6 fois plus de GES que le Canada tout entier


Anne-Sophie Poiré
Si les huit principales banques canadiennes formaient un pays, il serait le cinquième plus grand émetteur de gaz à effet de serre du monde, révèle un nouveau rapport d’Oxfam-Québec. Les émissions financées par ces institutions représentent 2,6 fois le poids carbone total du Canada, et près de 23 fois celui du Québec.
Quand on pense aux bouleversements climatiques comme les canicules, les feux de forêt ou les inondations qui ont frappé le Canada dans la dernière année, la responsabilité du secteur pétrolier et gazier est spontanément montrée du doigt.
Mais qu’en est-il de celles qui le financent?
Les actifs des banques — Desjardins, Banque Nationale, Banque Laurentienne, Banque de Montréal, CIBC, Banque Scotia, RBC Banque Royale, Banque TD — sont la plus grande source d’émissions polluantes du pays, bien avant les transports, signale un rapport de l'organisation de solidarité internationale Oxfam-Québec publié mardi, réalisé avec l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC).
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Ces huit institutions ont généré à elles seules plus de 1906 millions de tonnes de CO2 en 2020. C’est plus de deux fois et demie les émissions de tout le Canada (730 millions de tonnes) et près de 23 fois celles du Québec (84 millions de tonnes).
Si elles formaient un état souverain, il serait le cinquième plus grand émetteur au monde, derrière la Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie.
Les banques financent la crise climatique
Bien sûr, ce ne sont pas les actifs eux-mêmes qui génèrent des GES. Ils rendent plutôt possibles les activités humaines qui les produisent, comme l’exploitation des combustibles fossiles.
Un dépôt de 1000$ à la Banque Nationale — la plus intensive en carbone — financera ainsi l’émission de 0,391 tonne de CO2, soit 4% de l’empreinte annuelle moyenne d’un Québécois (9,9 tonnes).

Ces résultats «donnent le vertige», commente le chercheur à l’IRÉC qui signe l’étude, Hubert Rioux, en entrevue au 24 heures.
On sait depuis un moment que les grandes institutions financières canadiennes ne font pas bonne figure en matière de lutte contre les changements climatiques.
Selon le rapport Banking on Climate Chaos publié en 2021, la Banque de Montréal, la RBC, la TD, la Banque Scotia et la CIBC ont augmenté de 70% (61 milliards $) leur soutien aux énergies fossiles par rapport à 2020. Elles sont parmi les principaux commanditaires de cette industrie dans le monde, avec 17,5% de l’ensemble des prêts au secteur pétrolier et gazier.

Mais, c’est la première fois que les émissions de GES financées par les grandes banques canadiennes sont ainsi quantifiées affirme Oxfam-Québec.
«Je m’attendais à ce que l’impact des institutions financières sur la crise climatique soit gros, mais pas de cette ampleur-là», admet quant à elle Catherine Caron, coordonnatrice, campagnes et influence pour l'organisation.
«Une seule banque de taille moyenne finance plus d’émissions polluantes que n’en produit le secteur du transport du Canada tout entier, illustre-t-elle. C’est immense!»
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Sans la contribution et l’engagement des principales institutions canadiennes donc, le monde n’arrivera jamais à atteindre les objectifs de réduction des GES pour limiter le réchauffement climatique, plaide le rapport.
«Toutes les banques se sont engagées à soutenir et accélérer la transition verte, notamment à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Elles sont aussi membres de plusieurs coalitions en faveur de la décarbonation du secteur financier. Mais si les choses continuent telles qu’elles sont, c’est impossible qu’elles se rendent», lance Hubert Rioux.
«Il faut absolument que le monde de la finance prenne un virage radical, ajoute-t-il. Tous les milliards de dollars alloués aux secteurs carbonés, c’est autant d’argent qu’on ne met pas dans les projets pour assurer la transition écologique.»
Bouger aussi vite que les changements climatiques
Le rapport permet aussi de mesurer les «émissions économisées» par les banques, c’est-à-dire celles qui ont été réduites ou évitées en soutenant des projets verts.
Pour 100 tonnes de GES financées toutefois, les banques n’en économisent en moyenne que 5.
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Même si les banques n’ont pas démontré qu’elles bougent aussi vite que les changements climatiques, elles sont beaucoup plus à l’écoute des épargnants qu’on ne le pense, nuance Catherine Caron d’Oxfam-Québec.
«Plusieurs d’entre elles constatent que leur clientèle est vieillissante et veulent séduire la jeunesse», souligne-t-elle. Et pour y arriver, elles devront nécessairement retirer leur soutien aux secteurs polluants.
Selon un sondage de Greenpeace Canada, 60% des Canadiens de 18 à 34 ans estiment en effet que les banques doivent cesser leur financement aux énergies fossiles.

Il y a une impulsion en ce moment, assure Mme Caron, qui cite le projet de loi S-243 déposé en mars dernier, visant à aligner le secteur financier sur les engagements climatiques du Canada.
Le projet de loi stipule entre autres que les banques doivent être plus transparentes sur la composition de leurs fonds communs.
«On doit légalement les obliger à calculer et divulguer elles-mêmes l’empreinte carbone de leur portefeuille, fait valoir M. Rioux. Il y a des institutions financières moins pires que d’autres, mais à l’heure actuelle, les épargnants n’ont pas la possibilité de faire des choix éclairés.»
«Il n’y a pas une marque de chips qui voulait être la première à divulguer le nombre de gras ou de sel qui se trouve dans son produit. Il a fallu une loi pour obliger les compagnies à le faire, ajoute Catherine Caron. Ça devrait être la même chose avec les banques.»