«Bombe sale»: diversion ou escalade nucléaire de Moscou?
Agence France-Presse
En accusant l'Ukraine de vouloir faire exploser une «bombe sale» sur son propre territoire pour faire croire à une attaque russe, Moscou redonne corps à l'hypothèse d’une escalade nucléaire, même si certains analystes n’excluent pas une simple diversion.
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Le terme de «bombe sale», aussi appelée «dispositif de dispersion radiologique» (DDR), désigne une bombe conventionnelle entourée de matériaux radioactifs destinés à être disséminés sous forme de poussière au moment de l'explosion.
Prévenus de concert dimanche par le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, Paris, Londres et Washington ont fustigé ensemble des déclarations «fausses» de Moscou, tandis que Kyïv a fermement démenti se préparer à employer une telle arme.
«Personne ne serait dupe d'une tentative d'utiliser cette allégation comme prétexte à une escalade», ont commenté dans un communiqué commun les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, toutes trois des puissances nucléaires siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies.
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Ukrainiens et Occidentaux redoutent que ces nouvelles accusations cachent la volonté d'une attaque menée sous un faux drapeau, suspectant la Russie d'être prête à faire exploser elle-même une «bombe sale» pour justifier par exemple l'emploi d'une arme nucléaire tactique en représailles.
Pour la première fois depuis mi-mai, les chefs d'état-major des armées russe et américaine, Valéri Guerassimov et Mark Milley, ont également discuté, toujours au sujet de ce scénario de «bombe sale», qui a pour but premier de contaminer une zone géographique et les personnes qui s'y trouvent à la fois par des radiations directes et par l'ingestion ou l'inhalation de matériaux radioactifs.
«Une bombe sale n'est pas une "arme de destruction massive" mais une "arme de perturbation massive" qui vise principalement à contaminer et faire peur», résume la Commission de régulation nucléaire américaine.
«Les Russes ont recours à cette dialectique d’escalade à cause des difficultés bien réelles sur le front» face à des forces ukrainiennes à l'offensive, huit mois après le début de l'invasion, analyse une source militaire occidentale.
Les allégations de Moscou interviennent alors que les forces russes sont en difficulté sur plusieurs fronts en Ukraine, ayant perdu en septembre des milliers de kilomètres carrés dans le nord-est et désormais en recul dans la région de Kherson, dans le sud.
Or «conventionnel et nucléaire doivent s'épauler: s'il y a un déséquilibre, vous vous retrouvez à devoir escalader pour éviter une défaite tactique sur le champ de bataille qui peut devenir une défaite stratégique», commente cet officier pour l'AFP.
Matière nucléaire très traçable
Mi-mars, après l'échec d'une offensive éclair visant à s'emparer du pouvoir à Kyïv, Moscou avait également accusé le pouvoir ukrainien de gérer des laboratoires destinés à produire des armes chimiques et biologiques.
Pour autant, le scénario d'une bombe sale permettant de justifier une attaque nucléaire tactique paraît peu crédible, selon certains experts.
Tout d'abord, les services de renseignement occidentaux n'ont pas observé de changement de posture nucléaire russe.
En outre, «si les Russes se livraient à une attaque sous faux drapeau» en ayant recours à une bombe sale, «nous le saurions immédiatement. Il est possible de fabriquer une arme chimique à partir de rien, en revanche la matière nucléaire possède une empreinte très identifiable», jusqu'au réacteur dont proviennent les déchets, fait valoir auprès de l'AFP William Alberque, expert en contrôle des armements à l'Institut international d'études stratégiques (IISS) de Londres.
«C'est seulement du bruit pour faire peur, une diversion» dont Moscou va ultérieurement tenter de tirer profit en expliquant avoir dissuadé Kyïv de faire usage d'une bombe sale, juge-t-il.