Bianca Gervais s’est inspirée de son quotidien pour son documentaire sur la fatigue
Michèle Lemieux
Constatant que l’état de fatigue semble généralisé dans la société, Bianca Gervais a voulu se pencher sur la question. Elle-même profondément fatiguée par l’ampleur des tâches à abattre, elle est allée à la rencontre de spécialistes, en quête de réponses. Dans le cadre de la série documentaire Crevée!, elle témoigne d’une réalité qui semble encore taboue: dans notre société de performance: a-t-on le droit de dire qu’on est fatigué?
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Bianca, dans ce nouveau projet, vous avez choisi de traiter de la fatigue ressentie dans notre société...
Oui. Ça fait des années que je suis fatiguée, et je sens que les gens autour de moi le sont aussi. Ma mère, mes amies, mes sœurs, les infirmières, les professeurs, tout le monde l’est! Les hommes le sont aussi. Je suis consciente d’être privilégiée dans la vie: j’ai un travail que j’aime, une maison, j’ai accès à un psy quand je veux, je peux m’offrir une journée au spa. Dans le documentaire, on aborde la vitesse d’exécution, notre lien au travail, la performance parentale, l’obligation d’être toujours disponible au bout du téléphone... Je me suis dit que c’était un bon moment pour discuter de ces enjeux. J’ai proposé le projet, et mon chum (Sébastien Diaz)
l’a réalisé.
Quel angle avez-vous adopté?
Le point de départ, c’est moi, mais je n’ai pas le monopole de la fatigue! Il y a un épisode sur la fatigue au quotidien, qu’on ait des enfants ou non. Un autre porte sur le plan physique. Des sociologues et des historiens nous ont expliqué que si nos grands-parents semblaient moins souffrir de la fatigue, c’est parce que leur quotidien était rythmé par la temporalité. Quand le soleil se couchait, c’était la fin du travail. Maintenant, il y a toujours quelque chose à faire. L’objectif du documentaire, c’est d’engager une discussion sur la fatigue, qui est un sujet encore tabou. Quand j’ai parlé de mon projet à ma mère, elle m’a dit que je ne pouvais pas faire ça parce que les gens allaient penser que je suis en burnout! (rires) Je ne suis ni en burnout ni en dépression, mais j’ai envie de nommer les choses.
La fatigue est si mal vue dans notre société?
Oui. Par exemple, après mon passage à Tout le monde en parle, j’ai reçu des commentaires agressifs à l’égard des femmes de ma génération, comme si nous nous plaignions pour rien... Dans le documentaire, un médecin dit que chaque fois que quelqu’un entre dans son bureau, les mots «Je suis fatigué» sont prononcés. Bien que taboue, la fatigue est présente.
Avez-vous réussi à identifier ce qui devrait être changé dans votre vie?
Je dois, entre autres, me donner le droit à l’erreur et me fixer des limites. J’essaie d’être parfaite dans tout ce que j’entreprends: être une bonne épouse pour Sébastien, une mère extraordinaire pour Liv et Bowie, une bonne amie, une bonne sœur, une actrice qui ne se trompe jamais, une citoyenne qui vote, composte, fait du bénévolat à l’école de ses filles. Je travaille là-dessus en thérapie... (rires) Être fatiguée, c’est aussi relié à l’incapacité de renoncer. J’apprends à dire non et à me pardonner mes erreurs. On veut performer, mais on peut se donner le droit de ne pas performer partout...
Tout est enjeu de performance?
Oui, et quand on suggère: «Tu as juste à en faire moins», ça veut dire quoi au juste? Il faut quand même s’occuper de nos enfants, de nos parents, de nos amis, sortir les vidanges, couper le gazon... Il semble y avoir une honte à être fatigué. Parfois, on se compare à nos grands- mères, mais la définition de la maternité était différente. Pour ma part, je fais du bénévolat à l’école, je veux m’impliquer. J’amène ma grande chez la psy, car elle souffre d’anxiété. La charge du parent est plus lourde. Comme parent, on est renseigné sur ce qu’on doit faire. Il y a plus d’attentes. On veut réussir l’éducation de nos enfants comme on veut réussir notre vie. C’est une pression collective. Ceux qui n’ont pas d’enfant ressentent aussi de la pression. Un sociologue, qui témoigne dans Crevée!, dit qu’on a fait des avancées formidables, notamment sur le plan de la diversité, mais qu’on ne sait pas de quoi discuter avec quelqu’un qui ne travaille pas. On se définit par le travail. Ralentir, c’est tabou.
On parle aussi beaucoup de charge mentale de nos jours...
Oui, on en a beaucoup parlé, mais rien n’est réglé. J’ai des enfants et j’essaie de les éduquer comme si je ne travaillais pas. Quand je suis sur un plateau, j’essaie de travailler comme si je n’avais pas d’enfants. Finalement, je suis toujours écartelée entre les deux. Quelle est la solution? Être une moins bonne mère ou une moins bonne travailleuse? Je ne veux ni l’un ni l’autre.
Comment arrivez-vous à prendre du recul?
Je consulte depuis 13 ans. Je le dis avec beaucoup de fierté. Je pense que si chacun faisait sa thérapie, la Terre se porterait mieux. J’essaie d’être une meilleure personne en travaillant sur moi. Plus je vieillis, moins j’ai besoin de choses grandioses pour être heureuse. J’approche les 40 ans. Le petit dessin de mes enfants pour mon anniversaire me comble. Partir quelques jours en famille me remplit d’une joie immense. C’est un retour aux choses plus simples. Le plaisir des bons moments passés ensemble.
Mieux connaître sa valeur vient avec un moins grand désir de performance?
Oui, ce n’est plus «Je travaille donc je suis». Je suis plein de choses. Une carrière, ça fluctue, mais ça ne change pas notre valeur comme être humain. J’ai envie d’un retour à la terre. Cet été, j’ai peu travaillé, à part pour le documentaire. Ça m’a fait du bien... Je me suis dit que la quarantaine, pour moi, ce sera peut-être un ralentissement et un retour vers la nature.
Crevée! est diffusée sur Tout.tv Extra. La série Les Perles est offerte sur Club illico. Bianca joue aussi dans Les moments parfaits le mercredi à 20 h, à TVA. On peut l’entendre à la radio à Véro et les Fantastiques sur les ondes de Rouge FM.