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Barbie, cette poupée au physique irréaliste, peut-elle vraiment être féministe?

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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-07-28T10:30:00Z
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Pendant que certains encensent le film Barbie, d’autres lui reprochent d’être opportuniste et de plonger dans le courant woke. La question qui se pose: une poupée au physique impossible conçue par une entreprise milliardaire longtemps critiquée pour promouvoir des standards de beauté inatteignables peut-elle soudainement devenir un symbole de féminisme? Au-delà du débat, on s’est demandé si l’œuvre pouvait réellement éveiller les consciences. 

«Je ne vois pas pourquoi un stunt marketing de Mattel [la société derrière Barbie] ne pourrait pas être féministe», souligne d’emblée la réalisatrice Kitana Zéphir, qui rappelle que le film est produit par ladite compagnie. 

«Le film dénonce tellement de manière frontale le patriarcat, les standards de beauté et les cases dans lesquelles on met les femmes. Ce film est certainement féministe, même s’il demeure un objet marketing», ajoute la membre de l’organisme Réalisatrices Équitables. 

Barbie avait des prétentions féministes bien avant sa sortie en salle, la cinéaste Greta Gerwig derrière la superproduction ayant signé des œuvres ouvertement féministes comme Lady Bird en 2017 et Little Women en 2019. 

La réalisatrice et scénariste du film Barbie, Greta Gerwig.
La réalisatrice et scénariste du film Barbie, Greta Gerwig. AFP

Empowerment

Dans le film de Greta Gerwig, co-scénarisé avec son partenaire Noah Baumbach, les Barbie vivent heureuses et émancipées — avec des vêtements et une mise en beauté toujours impeccables — dans le pays rose de Barbie Land. Elles y occupent les postes de juge, de présidente, d’éboueuse ou de docteure, pendant que les Ken passent leur temps à «beacher» au bord de la plage. Ils sont présentés comme des accessoires incapables de se voir autrement que dans les yeux des Barbie. 

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«Barbie représente des standards de beauté irréalistes, mais elle peut quand même aller sur la Lune et être présidente. Tu peux porter des talons hauts, être brillante et occuper un poste de pouvoir: ce n’est pas mutuellement exclusif», résume Kitana Zéphir. 

Une scène dans laquelle Barbie et Ken confondent l’affiche des participantes à un concours de maillots de bain pour les juges de la Cour suprême renvoie justement à cette idée. 

L’empowerment est ainsi l’argument féministe du film: il est possible d’occuper des postes de pouvoir associés au masculin, tout en embrassant sa féminité. 

Et c’est d’ailleurs ce que martèle la compagnie Mattel depuis les années 1980: «Barbie can be anything». Une déclaration devenue le slogan officiel de la poupée en 2015, après des années à essuyer de vives critiques sur le physique de Barbie dont les proportions ne correspondaient à celles d'aucune femme sur terre. 

Pour tenter de freiner la chute de ses ventes, Mattel lançait en 2016 les nouvelles Barbie Fashionistas comprenant quatre morphologies différentes. Des poupées en fauteuil roulant et une portant une prothèse amovible à la jambe ont été ajoutées à la collection en 2019, puis une autre atteinte de Trisomie 21 en 2023. 

Supplied by WENN.com
Supplied by WENN.com

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Les ventes de poupées sont passées de 905 millions de $ en 2015 à près de 1,7 milliard $ en 2021, selon Statista. 

Et les efforts dont fait preuve la compagnie en matière d’inclusion ont été portés à l’écran dans l’œuvre de Greta Gerwig. 

«Le film s’inscrit dans une campagne de marketing très féroce dans laquelle Mattel tente de coller des valeurs plus actuelles à sa poupée pour améliorer l’image de sa marque et conquérir une nouvelle clientèle», commente la réalisatrice et scénariste Geneviève Albert. 

Deux mondes qui s’affrontent  

Dans le film, lors d’une fête, Barbie «stéréotypée», incarnée par Margot Robbie, se met à penser à la mort. De la cellulite apparaît alors sur sa cuisse et ses pieds deviennent soudainement plats. Barbie Land n’est plus une terre de perfection.  

La solution se trouve dans le monde réel, lui apprend alors la Barbie «bizarre», dont les cheveux et le visage ont été peinturés par un enfant qui n’en pouvait visiblement plus de sa poupée. Pour retrouver sa vie sans tracas, elle part vers Los Angeles à bord de sa voiture rose, accompagnée bien, malgré elle, par Ken (Ryan Gosling), qui ne peut vivre sans elle.  

Dans ce — vrai — monde, Barbie se sent comme un objet. Elle découvre l’oppression, le sexisme et les violences sexuelles. Ken — dépeint comme un parfait idiot — rencontre quant à lui le patriarcat, un système qui le valorise «enfin» et qu’il tentera d’instaurer à Barbie Land. 

Le monde de Barbie apprendra finalement qu’il vaut mieux espérer une société équitable que dirigée par un seul sexe. 

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«Mais une morale de film, ce n’est pas quelque chose que les gens adoptent. C’est le caractère sournois de l’industrie du cinéma», signale l’anthropologue et professeure à la Faculté des arts de l’UQAM, Sylvie Genest. 

«Dans Barbie, on insiste pendant des heures sur l’idée qu’il y a deux mondes: le réel où le patriarcat domine et le monde rose de Barbie où on se fait croire que ce sont les femmes qui ont le pouvoir.» 

«Le monde dans lequel Ken est un objet qui ne fait rien sur la plage est aussi calqué sur celui dans lequel on vit, dans lequel la femme doit être belle et se taire», ajoute celle pour qui cette posture n’a rien de féministe. 

La réalisatrice Kitana Zéphir n’est pas de cet avis. 

«La seule place où les femmes peuvent avoir le pouvoir, c’est quand on s’invente un univers fait de jouets en plastique. Cette critique [du monde réel] est très frontale dans le film. Et elle est infiniment triste», dit-elle.

«On est encore dans une position où il faut rêver pour penser que les femmes puissent prendre de la place et être au pouvoir», déplore la réalisatrice.  

Barbie, nouveau symbole de féminisme? 

La professeure Genest estime que Barbie s’inscrit plutôt dans une campagne de femvertising, une stratégie de marketing et de communication qui utilise les causes féministes pour promouvoir un produit. 

«Pour l'industrie du divertissement, toutes les causes sont exploitables aux fins capitalistes. On sait que cette industrie s'adresse principalement aux femmes et aux jeunes filles. Ce film en est un exemple», affirme-t-elle. 

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Plus de 150 millions $ auraient d’ailleurs été dépensés pour la campagne de marketing du film, soit plus que son budget de production de 145 millions $, selon Vanity Fair. 

«On est plutôt devant un militantisme de façade qui est opportuniste et mercantile pour la compagnie Mattel, soutient Geneviève Albert. Face à une montée de popularité du féminisme dans les dernières années, plein de compagnies se sont associées au féminisme dans le but d’augmenter leurs ventes.» 

Mais, même si on sent la compagnie Mattel souffler dans le cou de la scénariste, ce grand succès populaire risque d’exposer des notions de féminisme à certains cinéphiles, peut-être pour la première fois. 

«Au-delà de Barbie, le film peut offrir une vitrine sur l’œuvre féministe de Greta Gerwig qui ne s’adresse pas nécessairement à un public aussi large, nuance Mme Albert. La liberté de Gerwig est contenue dans le scénario, mais je ne doute pas qu’elle ait fait le film le plus féministe possible dans le terrain de jeu qu’elle avait.» 

Le film a par ailleurs pulvérisé le record de la meilleure première fin de semaine au cinéma pour un long métrage réalisé par une femme. En date du 24 juillet, Barbie avait récolté près de 213 millions de $ de ventes de billets dans les cinémas nord-américains. 

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