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Culture

Ayant connu 5 familles d’accueil, Stéphane Fallu s’engage auprès des jeunes

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Jean-Marie Lapointe

2023-05-30T14:00:00Z
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Je me souviens d’avoir contacté Fallu en 2010 dans le cadre d’une collecte de fonds pour les Centre Le Grand Chemin, qui aide des adolescents. Il avait été le premier à répondre présent. À cette époque, je ne connaissais pas son histoire et j’étais loin de me douter que derrière ce sympathique gai luron se cachait un homme d’une grande résilience, écorché par un passé familial peu facile.

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Stéphane, quand je t’ai invité à participer à ma collecte de fonds, il y a 13 ans, le public ne connaissait pas ton passé ni tes motivations...

Je ne savais pas encore sous quelle forme j’allais m’impliquer auprès des jeunes, mais je savais que je voulais le faire. Cette année-là, j’ai fait un numéro d’humour où j’ai parlé de l’adoption et des familles d’accueil. C’était la première fois que, publiquement, j’ouvrais cette fenêtre sur mon passé. Plusieurs de mes amis n’étaient même pas au courant. C’était mon jardin secret.

Pourquoi avoir décidé d’en parler?

Je ne sais pas... Ce n’était pas une stratégie marketing! Avant, j’avais honte de mon milieu. Puis, une entrevue avec Marie-Claude Barrette a été un moment charnière dans ma vie. Je pouvais enfin mettre des mots sur un mal que j’avais à l’intérieur de moi. À la suite de cette émission, j’ai reçu des messages d’artistes, de politiciens, de sportifs qui avaient eux aussi vécu la vie en famille d’accueil. J’ai vu l’impact que ça avait sur les gens. Je me suis dit que j’allais mettre mon orgueil de côté pour essayer de venir en aide aux jeunes. J’ai donc commencé en organisant des spectacles pour la DPJ.

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Photo : Dominic Gouin / TVA Pub
Photo : Dominic Gouin / TVA Pub

À quel âge as-tu été placé en famille d’accueil?

Jusqu’à l’âge de quatre ans, j’ai vécu avec ma famille biologique, mais de la maternelle à la troisième année, j’ai fait cinq familles d’accueil. Je ne comprenais pas tout. Je voulais juste être le plus normal possible. C’est plus tard que tu le réalises. Mais comme mon psy me le répète souvent, je fais preuve d’une très grande résilience. 

Réalisais-tu que tu n’avais pas la même réalité que tes camarades?

Oui et non. À cette époque-là, être pauvre, c’était moins pire; du moins, c’était plus normal. Dans le coin, il n’y avait qu’une seule rue de grosses cabanes avec des piscines creusées; c’était l’exception. Mais je me souviens qu’il m’arrivait de me demander si j’allais pouvoir manger le soir même. Aujourd’hui, être pauvre, ça paraît tout de suite; c’est beaucoup plus stigmatisé. 

Ces années représentent-elles juste des souvenirs difficiles?

Il y avait de bonnes familles d’accueil, mais il y en avait où c’était le chaos! Heureusement, vers l’âge de 10 ans, je suis tombé sur une famille qui a été bonne pour moi. Elle a décidé que j’allais devenir un Fallu! (sourire) Je suis devenu Stéphane Fallu officiellement devant la Cour le 6 mai 1981, jour de mon anniversaire. 

Photo : Dominic Gouin / TVA Pub
Photo : Dominic Gouin / TVA Pub

Avais-tu du mal à gérer le processus d’abandon?

De mon point de vue de petit gars, je me faisais juste garder d’une famille à une autre. J’avais hâte d’aller voir ma nouvelle famille. J’ai quand même eu du fun. Je me souviens que je faisais du théâtre dans la ruelle. Étonnamment, je n’ai jamais perdu ce besoin de m’amuser. J’avais un ami imaginaire, je parlais tout le temps. Il faut croire que j’avais un bon fond. (sourire)

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Tu ne l’as jamais perdu, d’ailleurs...

Non, mais plus je vieillissais, plus je me sentais loser. J’ai traîné ce sentiment longtemps. Les gens voyaient ma vulnérabilité, et certains en ont profité. Disons qu’à cette époque, personne n’aurait misé sur moi. 

Comment expliques-tu que tu en sois venu à avoir une si belle carrière?

Avec les années, j’ai appris qu’il faut d’abord s’aimer soi. Je le dis sur scène: si tu ne t’aimes pas, les gens ne te suivront pas. Vouloir se faire aimer à tout prix, je sais ce que c’est. J’ai été pris avec ça pendant des années. Même encore aujourd’hui, c’est un pattern qui a tendance à vouloir se réinstaller. Aujourd’hui, je choisis de m’investir, je fais de mon mieux, même si je ne peux pas toujours le faire à 100 %, comme c’est le cas pour la Maison Stéphane Fallu, à Chambly, pour des jeunes qui sortent de la DPJ. Je suis fier de pouvoir m’impliquer dans ma ville. À 18 ans, ces jeunes se retrouvent devant rien. Moi, j’étais entouré de parents aimants et j’ai trouvé ça rough! Imagine quand tu viens d’une famille dysfonctionnelle ou que tu es aux prises avec des problèmes de toxicomanie, de violence ou de santé mentale. 

Photo : /
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Comment expliques-tu que tu ne sois pas tombé dans la consommation?

Pour être honnête, j’ai flirté avec tout ça, et je pense que ce sera toujours une frontière fragile. Dans ma tête, je vois constamment le bouton «autodestruction». Je m’efforce de ne pas le nourrir, mais c’est beaucoup de travail. 

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Qu’est-ce qui t’empêche de ne pas basculer dans l’autodestruction?

La famille surtout. Il ne faut pas avoir peur d’aller chercher de l’aide non plus. Il faut se connaître, se couper de certaines personnes plus toxiques et accepter d’avoir de la peine. Moi, je vis mes émotions à fond. Et même si ça sonne un peu «psycho pop», je crois qu’il faut se choisir. J’ai une carrière, deux enfants et une conjointe merveilleuse. La vie est bonne pour moi. J’ai des projets le fun, et ma carrière a pris un bel envol à 50 ans. C’est quand même flyé! 

Andréanne Lemire/Agence QMI
Andréanne Lemire/Agence QMI

Avais-tu pensé fonder ta propre famille?

Jamais! C’est arrivé sur le tard, j’avais 40 ans. À l’époque, je ne le désirais pas tant! J’avais peur de trouver le quotidien un peu ennuyant. Finalement, ça m’a amené complètement ailleurs! Je me surprends à triper en regardant un match de lutte avec mon gars sur le divan. 

Qu’est-ce qui t’anime en ce moment?

Je joue beaucoup au Bordel. J’aime faire de la scène avec des jeunes. Ils sont tellement moins complexés qu’on l’était à leur âge. Ils n’ont peur de rien et ils se connaissent mieux aussi. En revanche, ils sont zéro autonomes dans la vie. Moi, à 20 ans j’avais ma blonde et ma job d’infirmier en polytrauma. (rires) Mais intellectuellement, ils ont une maturité qu’on n’avait pas. 

Tu étais infirmier?

Oui, de 20 à 30 ans, j’étais nurse à l’Hôpital Sacré-Cœur. On dirait que j’ai eu huit vies. (rires)

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Tu devrais écrire tes mémoires!

J’ai été approché pour un projet du genre, mais si je le faisais, je voudrais que ce soit romancé un peu. J’ai commencé à écrire, mais je veux que ce soit drôle. Il faut qu’il y ait de l’humour dans ma vie pour qu’elle ait un sens. Même dans le malheur, il y a toujours matière à rire. 

Es-tu fier d’où tu en es aujourd’hui?

J’ai le goût de dire oui, mais j’ai du mal à me donner la petite tape sur l’épaule. Mais plus ça va, plus je suis fier. 

Qu’est-ce que le Fallu de 53 ans dirait à un jeune de 10 ans en famille d’accueil?

Je lui dirais: «C’est pas de ta faute...» (silence) Je le sais, pour l’avoir vécu, qu’on se sent souvent envahi d’une grande culpabilité. (Il peine à contenir ses larmes.) Il fallait que je craque à la toute fin de l’entrevue. Je suis redevenu un petit gars l’instant de quelques secondes... (rires)

Stéphane est en rodage pour son prochain spectacle. Il coanime Les lève-tôt en semaine dès 5 h 30, sur les ondes de Rythme FM. Il sera le nouvel animateur de Sur le pouce, à Zeste, dès le jeudi 8 juin 22 h.

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