Avortement aux États-Unis: attendons encore un peu
Luc Laliberté
Comme on pouvait s’y attendre, la fuite d’un document rédigé par le juge Samuel Alito concernant le droit à l’avortement a eu l’effet d’une véritable bombe. La question est sensible et jamais, depuis le jugement Roe v. Wade en 1973, le mouvement pro-vie n’a été aussi près de son objectif ultime.
Si, avant la présidence Trump, on multipliait les tentatives de limiter l’accès à l’avortement, on s’en prend cette fois directement au droit.
Le mouvement pro-choix a bien raison de s’inquiéter et de nombreux pays occidentaux observent la situation de près. Au-delà de ces inquiétudes légitimes, doit-on considérer que l’ébauche de jugement rédigée par Alito confirme la fin de la légalisation de l’avortement?
Une première ébauche
Le document obtenu par le site POLITICO indique qu’il s’agit d’une première ébauche. Il est fréquent que de multiples ébauches circulent entre les neuf juges avant la décision finale. Ces ébauches peuvent être modifiées au fil des échanges et du partage de l’argumentaire de chacun des juges.
Cependant, l’ébauche fait suite à un premier vote. Nous savons que quatre autres juges ont appuyé le juge Alito. Si on ne s’étonne pas du fait qu’Amy Coney Barrett et Clarence Thomas se joignent à lui, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh n’avaient pas manifesté leur intention lors des audiences devant le Sénat.
On peut donc présumer que, des cinq juges qui appuient la fin du droit à l’avortement, trois sont des «purs et durs», et que deux autres seraient encore ouverts à la discussion. Cette possible ouverture est importante si on considère l’identité du seul conservateur dissident.
Pleins feux sur John Roberts
Le juge en chef Roberts est la voix discordante chez les conservateurs. Son interprétation du texte fondateur diffère de celle des originalistes. Ces derniers interprètent la Constitution en fonction de la signification qu’elle avait dans le contexte de sa proclamation. Samuel Alito est très proche de cette interprétation.
Si le vote de John Roberts n’a pas plus de poids que celui de ses collègues, de par sa fonction, il préside les conférences, il établit le calendrier des réunions et il est toujours le premier à s’exprimer. Il peut ainsi orienter les débats.
Si j’insiste ici sur le rôle de Roberts, c’est qu’il a régulièrement démontré qu’il est soucieux de l’image projetée par le plus haut tribunal, dont on dit qu’il est devenu trop politique, trop partisan. On dit qu'il est en faveur des restrictions récentes dans plusieurs États, mais qu’il mettrait tout son poids dans les négociations pour éviter d’éliminer le jugement de 1973.
Si les pro-choix peuvent encore espérer, leur sort est entre les mains du juge Roberts. Les juges discutent encore et la formulation du jugement attendu d’ici deux mois peut évoluer. Il est donc toujours possible qu’on maintienne le droit à l’avortement, mais qu’on reconnaisse les restrictions récentes. C’est tout ce que peuvent espérer les partisans du droit à l’avortement.