Avant-gardiste, Denise Filiatrault a toujours eu confiance en elle
Louise Deschâtelets
Étant donné l’incomparable carrière qui a été la sienne, se mettre en état de rencontrer une personnalité de la trempe de Denise Filiatrault demande une bonne dose d’audace, vu la réputation d’exigence d’efficacité, tout autant que d’humilité, qu’elle traîne dans son sillage.
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Denise, c’est un personnage hors norme dans le panorama des arts québécois. Pour cette artiste qui a démarré sa carrière dans ce qu’on pourrait appeler les arts mineurs du cabaret dans les années 1950 et qui a finale- ment abouti à la tête d’une des plus vieilles et prestigieuses compagnies de théâtre de Montréal, le Rideau Vert, aucun secteur des arts n’est inconnu. Que vous parliez de théâtre, de télévision, de cinéma, de chanson ou de comédie musicale, elle y a fait ses preuves.
Par sa force de caractère, cette femme de tête a su imposer une vision féminine dans tous les secteurs artistiques où elle a œuvré, tout comme elle a prouvé à la profession qu’être femme et mère n’allait pas l’empêcher de prouver sa valeur dans les postes de direction, jusqu’alors presque exclusivement occupés par des hommes.
Mais, au-delà de toutes les fleurs qu’on peut lancer à l’endroit de Denise — des fleurs amplement méritées, d’ailleurs —, je tiens surtout à mettre en lumière, en la rencontrant, à quel point son discours a conservé la spontanéité, la passion et la vivacité qu’elle affichait à ses débuts. Ce dont je peux témoigner, moi qui ai eu l’honneur de partager avec elle le plateau de la deuxième mouture de la comédie musicale Demain matin, Montréal m’attend, de Michel Tremblay et François Dompierre, à la fin des années 1960.
En prime, comme ma rencontre avec Denise coïncide avec la parution d’un livre racontant et illustrant les 75 ans d’existence du Théâtre du Rideau Vert, elle a choisi de se faire accompagner par Céline Marcotte, la directrice générale, avec qui elle codirige le théâtre depuis presque 20 ans.
Denise, en acceptant le mandat au Rideau Vert, pensais-tu que tu allais y rester aussi longtemps comme directrice artistique?
Je te dirais que oui, parce que je n’ai jamais beaucoup aimé jouer. Après trois représentations, j’avais fait le tour du personnage et j’avais envie de passer à autre chose. Dès que j’ai commencé à faire de la mise en scène, ça m’a tellement passionnée que j’ai complètement perdu l’envie de jouer.
Trouves-tu que la production théâtrale québécoise est à la hauteur de ce qu’elle devrait être?
Tout à fait. Pour avoir vécu à Paris, je peux te dire qu’on est largement au-dessus de la mêlée en matière de création théâtrale.
Parlant de Paris, tu aurais pu y faire carrière à une certaine époque. Regrettes-tu de ne pas avoir sauté sur l’occasion?
Pas du tout. Je m’ennuyais trop! D’abord de mes enfants, puis de mes amis et de mon pays. Il n’y avait rien pour me faire rester en France, tellement le mal des miens et de mon pays me torturait. J’aime le Québec. Je suis une Québécoise dans l’âme.
Revenons aux enfants. Le désir d’être mère était-il plus fort que tout pour toi?
Si tu parles d’être mère en incluant le fait de rester à la maison pour m’occuper des enfants et laver la vaisselle, je te dirais: pas du tout. Mais me défoncer dans le travail pour faire vivre mes filles et les envoyer dans les meilleures écoles, ça oui, je le voulais totalement. Surtout que leur père, Jacques Lorain, un acteur français installé ici, a vu sa carrière décliner quand la mode du joual a fait son apparition au théâtre et à la télé.
Coïncidence ironique, si on pense que la création des Belles-soeurs, de Michel Tremblay, au Rideau Vert s’est produite par ton entremise et sur ton insistance?
Cette pièce, c’était moi, c’était mon enfance sur le Plateau-Mont-Royal. Je pleurais à la première lecture. Il fallait absolument que ça se fasse au théâtre, selon moi. Et la chose étonnante, quand je l’ai soumise au Rideau Vert, c’est que c’est Metcha (le nom usuel de Mercedes), plus qu’Yvette, qui a accroché.
Réalises-tu que c’est toi qui es en partie responsable du tournant opéré dans la programmation du Rideau Vert à la fin des années 1960?
Ça bouillonnait un peu partout dans le monde en 1968, et les dames du Rideau Vert ont eu le flair d’entrer dans la parade avec Les Belles-sœurs. C’est quand même un exploit!
Qu’est-ce que ça fait de se sentir partie prenante d’un mouvement qui a été si important pour la suite des arts au Québec?
J’en suis fière, au point que ça me donne envie de brailler. Moi qui viens du cabaret quétaine, je n’en reviens pas de faire partie de ce si important mouvement identitaire.
Et si on pense qu’à la même époque, en télé, il y avait deux femmes, Dominique Michel et Denise Filiatrault, qui révolutionnaient le genre et les mœurs avec une émission comme Moi et l’autre, on pourrait parler ici de carré d’as.
Dire que ce qu’on jouait à la télé était basé sur ce qui nous arrivait à toutes les deux! On étalait notre vie aux réunions, et elle était transposée à l’écran telle quelle. C’était une émission qui prônait la liberté totale pour les femmes.
Quels souvenirs gardes-tu de cette époque où vous trôniez, Dominique et toi, au faîte de la gloire?
Je ne pourrais pas te répondre, mais c’est certain qu’à côté des émissions tranquilles diffusées à la télé de cette époque, on scorait fort!
Cet énorme succès ne vous est jamais monté à la tête?
Jamais de la vie! On était bien trop terre à terre, Dominique et moi. Du moment que mon loyer était payé et que mes filles étaient en santé, bien habillées et recevaient la meilleure éducation possible, c’était ça qui comptait.
Est-ce ton éducation qui t’a permis d’afficher un tel fatalisme face à la vie et qui t’a donné cette capacité de l’affronter aussi directement?
Je te dirais plutôt que c’est mon ignorance du danger et l’amour reçu de mes parents adoptifs qui m’ont donné cette confiance en moi qui ne m’a jamais lâchée tout au long de ma vie.
En bouclant ainsi notre conversation, Denise venait de souligner l’importance des parents dans la vie de leurs enfants et l’immense responsabilité qui leur incombe de leur donner l’essentiel pour affronter la vie: l’amour.
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