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Culture

Aux prises d’une dépression, Louise Latraverse dit avoir «cassé» à 50 ans

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Michèle Lemieux

2024-03-25T10:00:00Z
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La vie de Louise Latraverse est un roman, rien de moins! Dans un livre qui porte tout simplement son nom, l’actrice et artiste se dévoile à travers des textes, des photos et des dessins. De sa jeunesse à ses épreuves, en passant par la dépression qui lui a fait amorcer un tournant dans sa vie, elle nous offre un survol de son existence comme une toile impressionniste des plus réussies.

Madame Latraverse, vous nous présentez un livre unique, fait de textes, de photos et de dessins de votre cru qui relatent l’essentiel de votre vie. Pourquoi avez-vous choisi cette formule?

Je ne voulais pas d’une biographie traditionnelle. J’haïs les biographies! Dans mon livre, il y a des pensées, des petits bouts de vie, des photos. Après tout, on n’a pas besoin de tout dire. C’est un livre de table.

Le passage sur votre mère m’a beaucoup émue. Vous racontez que, sur son lit de mort, elle vous a dit pour la première fois qu’elle vous aimait et que cela a été pacificateur pour vous... 

Effectivement. Avant sa mort, ma mère ne m’avait jamais dit «Je t’aime». Elle a eu quatre enfants et elle a fait quatre fausses couches. Elle ne pesait pas 100 lb. Son premier bébé était magnifique. Je suis arrivée 11 mois après lui. Elle n’a pas eu le temps de profiter de son fils adoré. J’ai dérangé sa vie. À ma naissance, on a utilisé les forceps. Après son accouchement, elle est partie en sanatorium. Je suis une erreur de parcours. Ma mère ne m’a jamais voulue. Pauvre p’tite! J’ai terriblement souffert de ne pas avoir une mère qui m’aimait. J’avais un tempérament très différent du sien. Entre ma mère et moi, ça ne marchait pas. Comme je dérangeais ma mère, j’étais désagréable avec elle, je la cherchais. Mais la fin est belle... Ma mère était d’une grande élégance. Elle était tellement douée. Elle est née au milieu d’une famille de 13 enfants. Comme elle le disait si bien: on ne l’a pas vue.

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Votre relation avec votre père a été plus gratifiante, semble-t-il...

Oui. Je m’entendais mieux avec mon père. Il m’aimait. Il était alcoolique. Il a brisé sa vie. Il était dépressif. Je crois même qu’il était maniacodépressif. À l’époque, ça n’existait même pas, on ne parlait pas de ça. Il était extrêmement séduisant et cultivé. Il jouait du piano et il était le meilleur danseur de tango de la province. Mon père était le plus artiste de mes deux parents. Il était fonctionnaire à l’Alcan, mais ce n’était pas pour lui. Il buvait. C’était l’époque où tout le monde buvait et il y avait beaucoup de partys. Ça commençait à un endroit et ça se poursuivait à un autre... Imagine s’il était chaud quand il rentrait à la maison! Le Saguenay, où j’ai grandi, est un endroit de rêve. Il y avait les lacs, les partys. C’est une enfance peu banale. J’ai de bons souvenirs.

L’arrivée à Montréal a été plus difficile. Pourquoi donc?

À Arvida, j’étais une reine! J’étais une existentialiste, je m’habillais en noir, je marchais pieds nus avec mes cheveux longs. Je me prenais pour Juliette Gréco! Je suis restée enfermée pendant trois mois à Montréal. Je ne voulais pas sortir. Puis, j’ai fait de la radio. J’ai été la première speakerine. Je travaillais avec Jean Coutu. C’était une grande star!

Tout cela a donné lieu à une carrière exceptionnelle...

Ce n’est jamais aussi extraordinaire que ça en a l’air... C’était du travail. Il y avait de l’inquiétude. J’ai eu des années de vaches maigres. C’est ce qui a fait que j’ai développé toutes sortes de talents que je ne pensais pas avoir. Il fallait que je fasse vivre mon fils. Je me suis mise à écrire. Je me suis mise à dessiner. Comme acteur, on dépend des appels et des autres. À moins de faire comme moi, et de monter un show et de le jouer toute seule. C’est ce que j’ai fait avec L’amour crisse.

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Mais au tournant de la cinquantaine, vous vous êtes révoltée contre le fait d’être toujours choisie...

Oui, car c’est un métier tellement difficile! On n’est pas maître de sa vie. On dépend des autres. On est à la mode, puis on ne l’est plus. J’étais tannée! Dessiner m’a sauvé la vie. J’ai fait une grosse dépression. J’ai cassé à 50 ans. C’est à cet âge que ma vie a changé. J’ai commencé une psychanalyse et je la poursuis. J’ai le même psychanalyste depuis tout ce temps. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans ça. Je crois que, dans la vie, il faut aller chercher de l’aide. Il y a plein de groupes. C’est l’entraide qui nous sauve.

À l’époque où vous avez élevé votre fils, Max, il y avait peu de femmes à la tête d’une famille monoparentale. Cela représentait aussi un grand défi...

Oui. J’ai été veuve, jeune. Mon fils avait quatre ans. Ç’a été terrible. Quelle épreuve! En même temps, ça m’a construite. J’ai tout fait pour mon fils. Nous sommes devenus tellement liés. Il a eu une enfance difficile. Il n’avait pas de père. C’est souffrant, ça. Maintenant, nous sommes les meilleurs amis du monde. Il est toujours là pour moi, et je serai toujours là pour lui. Physiquement, c’est un Irlandais. Il tient de son père. J’aime beaucoup les Irlandais. Ils sont charmants et séduisants. Ce sont des conteurs. Emmett (Grogan, son mari et père de son fils) pouvait commencer une histoire à 6 h le soir et la conclure le lendemain matin. Nous l’écoutions. C’était fascinant de voir ce grand talent.

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Ç’a été un grand amour dans votre vie?

Oui. Pas facile. Pas simple. L’amour, c’est compliqué. On est bien, seul... (sourire) À 60 ans, je répétais à quel point j’étais bien seule. Le plus beau moment dans la vie d’une femme, c’est la soixantaine. C’est le plus bel âge pour une femme. On s’assume. On n’a plus peur.

Quel âge avez-vous, Madame Latraverse?

J’ai 83 ans. Tout est en place pour que je devienne centenaire. Je n’y tiens pas nécessairement... Ona fait de l’exercice, on a bien mangé. On vieillit en santé. J’ai eu des problèmes de genoux, mais ça s’est arrangé. Mon podiatre disait que Jane Fonda a brisé les genoux des femmes de ma génération. Estie de Jane Fonda! Sur sa recommandation, on s’est mises à courir et on s’est toutes brisé les genoux. Elle aussi était cassée de partout. Tout ce qu’on a à faire, c’est marcher.

Vous êtes aussi une contemplative de nature, semble-t-il...

Oui, ça rejoint la méditation. J’en ai fait beaucoup. Méditer m’a permis de me calmer. Je suis allée à Kripalu aux États-Unis, un centre de yoga. C’est intéressant d’avoir une vie spirituelle. On peut croire à ce qu’on veut, mais avoir au moins la foi en quelque chose. Ça aussi, c’est important. Dans les années 1970, le mouvement des femmes a changé le monde. C’était une nouvelle liberté. Il y avait de l’espoir. Je n’ai pas été élevée dans une famille à la Duplessis. Je n’ai pas été ostracisée par la religion. Être une actrice dans les années 1950, c’était mal vu. Ce n’était pas le rêve des parents... Les miens m’ont laissée faire. Dans ma famille, on aimait la liberté. On aimait les artistes.

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On a vraiment le sentiment que votre vie a été bien remplie...

Oui, mais c’est aussi rempli de peines et de difficultés. Ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille... C’était une quête de liberté. Depuis toujours, j’ai cherché la liberté et je l’ai trouvée. J’ai trouvé des amis libres. Il y a eu des rencontres d’amis, d’écrivains et d’artistes formidables. Il y avait une place à prendre, et on l’a prise. C’était une chance d’être né à cette époque. Tout se construisait au fur et à mesure. Cette révolution culturelle existait aux États-Unis. Mon mari faisait la révolution.

Votre mari, Emmett Grogan, en est une figure marquante.

Oui, emblématique. Puis, je suis partie à Paris pour vivre mai 68, avec les barricades. C’était inimaginable. J’allais entendre Juliette Gréco, Françoise Sagan. Quand nous allions à Saint-Germain-des-Prés, Sartre y était. Simone de Beauvoir aussi. J’ai vu ce monde-là de près. Tout se passait aux Deux Magots ou à la Brasserie Lipp. À mon arrivée à Paris dans les années 1960-70, je ne fréquentais pas les existentialistes. Ils étaient plus vieux que moi, mais ils étaient tous là. Ils étaient célèbres.

À New York, vous avez aussi fréquenté les Elizabeth Taylor, Janis Joplin, comme les Rolling Stones et les Beatles...

Oui. Je me rappelle encore la brosse que nous avons prise, Elizabeth et moi... Nous avons ri à en mourir! C’était la rencontre entre une actrice et une autre actrice. Je l’ai beaucoup aimée. Elle était flyée, vivante, merveilleuse, très simple. Je suis bien avec les artistes. C’est un monde de liberté, de quête de liberté. On peut se permettre d’être qui on est. Ce sont des gens qui font des choses que les autres ne font pas, qui mettent de la fantaisie dans l’existence.

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Et aujourd’hui, Madame Latraverse, à quoi ressemble votre vie?

Ça continue, la vie! J’ai une vie de moine. Je suis plus une ermite, maintenant. Actuellement, on vit des moments dangereux, difficiles. On a la chance de vivre dans un pays où on peut avoir un jardin et regarder le ciel. Ce n’est pas Gaza! Est-ce qu’on est assez privilégiés! Et je suis toujours amoureuse du théâtre. Au théâtre, c’est là qu’on dit les choses avant qu’elles ne soient acceptées. Le théâtre existe depuis toujours et il ne mourra jamais... Ça nous rejoint dans notre humanité. Ça nous prend des lieux comme ça. Alors finalement, c’est beau la vie... (sourire)

Extraits exclusifs de son livre

«Vers cinquante ans, j’ai frappé un mur. J’étais en panne de vie, lasse, comme si je ne voulais plus me battre. La ville s’agitait, les gens fonctionnaient; je lisais les journaux, je regardais la télé, mais je me sentais en dehors de toutes ces activités. Mon fils et le chocolat me tenaient en vie. Puis j’ai commencé à soigner ma dépression. J’ai arrêté de courir comme une folle de tous bords tous côtés. Je me suis installée dans mon atelier et je me suis mise à dessiner. Sur mon premier dessin, c’est moi. Je voulais qu’on prenne mon coeur et qu’on le soigne, et que je redevienne fleur bleue.» 

«Je suis dans ma vieillesse et savez-vous quoi? J’aime ça. Je vis modestement, je n’ai pas beaucoup d’argent. C’est sans importance, parce que j’ai une jolie maison, un beau jardin et mille choses dans ma tête. J’ai le temps. Rien n’est plus merveilleux que d’avoir du temps. [...] j’aime vieillir, j’aime ce détachement que j’ai vis-à-vis des choses qui me faisaient tant de peine...»

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«[....] je tenais [l]a main de ma mère [qui] allait mourir: “T’es tellement belle. Je t’aime.” Ma mère n’avait jamais pu me le dire. C’est comme si ces dernières paroles avaient effacé tout le reste, comme si ma mère me mettait de nouveau au monde, me donnait la vie: j’étais belle et ma mère m’avait aimée. Merci, maman.»

«Être actrice, c’est plaire. Au metteur en scène, au public. Ça m’a exaspérée à un moment donné. Je revendiquais le droit d’avoir cinquante ans. Je revendiquais le droit de travailler autant qu’un homme, de vieillir comme un homme, d’être respectée comme un homme. Le droit de garder mes rides et de pouvoir travailler sans me faire lifter. Le droit d’avoir des cheveux blancs et que les hommes se pâment autant que les femmes se pâmaient sur les cheveux blancs de Michel Dumont.»

«Quand j’étais petite, j’avais si peur qu’il arrive quelque chose de grave, que papa perde le contrôle quand il buvait... [...] Je me suis toujours sentie très près de lui. On ne savait pas à l’époque que la maniaco-dépression pouvait se soigner. Chez nous, c’est mon frère Guy qui a mis des mots sur cette maladie, dont il souffrait lui aussi, et il s’est investi pendant des années à la démystifier publiquement.»

«J’ai parfois les bleus. [...] Peu importe le temps qui passe depuis la mort d’Emmett (Grogan, son mari), même s’il était souvent parti, la peine est toujours la même. Le temps n’arrange rien. On vit avec, c’est tout. Je porte aussi la peine de Max qui me fait encore plus mal, quand je vois dans ses beaux yeux tout l’abandon de son père adoré. [...] Il n’y a pas une journée où je ne pense à Emmett, et à papa. Ce sont mes anges gardiens.»

Le livre Louise Latraverse, publié aux éditions Québec Amérique, sort le 26 mars.

L’actrice est en tournée avec son spectacle L’amour crisse.
On s’informe sur les dates à
productionsmartinleclerc.com/louise-latraverse. 

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