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L'article provient de 24 heures

Atteinte d’un cancer incurable, elle prend l’Ozempic pour retrouver son corps avant de mourir

Audrey Desrosiers
Audrey Desrosiers Photo courtoisie
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-08-31T15:02:26Z
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«J’ai pris 45 livres. Il me reste un an et demi à vivre et je veux les vivre dans le corps que j’ai toujours connu». Au-delà des préjugés entretenus sur l’Ozempic, le médicament chouchou des vedettes hollywoodiennes peut changer la vie de certaines personnes qui cherchent à perdre du poids pour des raisons de santé physique, mais aussi psychologique.

Si le médicament injectable est d’abord prescrit pour traiter le diabète de type 2, ce sont plutôt ses vertus amaigrissantes qui attirent l’attention. Il permettrait de perdre environ 15% de son poids en quelques mois à peine. 

La demande pour l’Ozempic dans la province a explosé dans les dernières années. 

En décembre 2022, 35 745 personnes avaient obtenu une prescription pour le médicament contre 74 en novembre 2019, selon les premières et dernières données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) obtenues par 24 heures. Il s’agit d’une augmentation de plus de 48 300%. 

Devant le flux de prescriptions, le médicament a cessé d’être remboursé le 18 juillet dernier par certains assureurs privés lorsqu’il est utilisé pour traiter l’obésité. 

La RAMQ ne rembourse pour sa part que les ordonnances pour le traitement du diabète. 

Plusieurs personnes qui cherchent à perdre du poids doivent ainsi payer le médicament de leur poche. Mais c’est le prix à payer lorsque les livres qu’elles jugent en trop ont des effets dévastateurs dans leur vie. 

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• À lire aussi: Vous voulez essayer Ozempic pour perdre du poids? Attendez un instant

Vivre ses derniers moments dans le corps qu’elle a connu

«Toute ma vie, j’ai pesé 125 livres. Ce n’est pas parce que je vais mourir que je ne peux pas me sentir belle et bien dans ma peau. Je veux être capable de faire l’amour avec mon chum sans être self-conscious. Je suis à la veille de mourir, je veux retrouver le corps que j’ai toujours eu», confie Audrey Desrosiers en entrevue à 24 heures

La femme de 40 ans se bat depuis trois ans et demi contre un cancer du sein de stade 4 avec des métastases aux os. La chimiothérapie fonctionne bien pour le moment, mais le cancer est incurable, précise-t-elle. 

«En théorie, il me resterait un an et demi à vivre.» 

Le cancer diagnostiqué à Audrey Desrosiers est hormonodépendant, c’est-à-dire que des hormones jouent un rôle dans la prolifération des cellules cancéreuses. Pour freiner la maladie, elle a donc été placée en ménopause artificielle par une injection de Zoladex qu’elle reçoit tous les mois. 

«Je fais de l’exercice, je fais attention à mon alimentation, mais je ne vais jamais perdre les 45 ou 50 livres que j’ai gagnées depuis trois ans et demi [à cause des changements hormonaux] parce que ma ménopause ne va jamais finir», explique-t-elle. 

Déterminée à vivre ses derniers moments dans le corps qu’elle a toujours connu, Mme Desrosiers a décidé de se tourner vers l’Ozempic, qui lui a été prescrit par sa médecin de famille «très empathique» à sa situation. 

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AFP
AFP

Elle vient tout juste de commencer la quatrième semaine de traitement. Elle devrait voir les résultats dans les deux prochains mois, lorsqu’elle atteindra la dose de 1 milligramme (mg). 

Pour le moment, elle ne ressent que les effets secondaires les plus couramment observés du médicament: des nausées, une perte d’appétit et de la fatigue. 

Les effets indésirables de l’Ozempic — qui touchent de 30 à 40% des usagers — sont surtout gastro-intestinaux, comme la diarrhée, la constipation ou les vomissements. Certains remarquent également une perte de cheveux. 

Audrey Desrosiers doit débourser 300$ par mois pour le médicament, en plus des 800$ nécessaires pour les traitements naturels qui lui permettent de stimuler son système immunitaire affaibli par la chimiothérapie. 

«Ça fait mal au portefeuille», souffle la travailleuse autonome qui œuvre comme zoothérapeute auprès des enfants ayant des troubles du comportement. 

Ne pas généraliser les effets de l’obésité

Comme plusieurs médecins spécialistes, l’oncologue d’Audrey Desrosiers s’est opposée à une telle prescription. Des experts sont d’avis que l’Ozempic ne devrait pas être utilisé pour la perte de poids dite «cosmétique». 

«On ne devrait pas rembourser le médicament pour les personnes obèses, sauf si on démontre qu’il peut améliorer leur santé comme le risque de développer des problèmes cardiovasculaires ou du diabète», affirme le professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval et chercheur à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologue de Québec (IUCPQ), Benoit Arsenault. 

«Je suis préoccupé par la tendance du Ozempic Challenge sur les réseaux sociaux. Ça peut créer des enjeux d’image corporelle de voir des jeunes femmes qui prennent le médicament pour une perte de poids cosmétique, prévient-il. Ça en dit long sur la relation de notre société avec la culture de la minceur.» 

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D’autres s’inquiètent également des effets de la pénurie du médicament annoncée par Santé Canada la semaine dernière sur les personnes diabétiques. 

Cette interruption temporaire du stylo de 1 mg pourrait s’étirer jusqu’au mois d’octobre en raison d’un problème d’approvisionnement associé à une demande accrue. 

Mais le ministre de la Santé Christian Dubé n’envisage pas pour autant restreindre l’utilisation de l’Ozempic. 

«Si c’est vrai que ce médicament est si profitable pour les gens qui souffrent d’obésité, j’ai demandé à l’INESSS [Institut national d'excellence en santé et en services sociaux] si elle ne pouvait pas [...] élargir un petit peu le genre de personnes qui pourrait l’utiliser, sans nécessairement être diabétique. C’est un projet qu’on aimerait mettre sur les rails assez rapidement», a-t-il mentionné le 21 août dernier à l’émission Tout un matin sur Ici Première. 

Pour la spécialiste en médecine bariatrique à l’IUCPQ, Marie-Philippe Morin, il ne faut pas non plus généraliser les effets de l’obésité. 

«Ce sont des cas individualisés», dit-elle. 

«Certains patients ont un IMC augmenté, sans avoir de problème de santé relié à leur poids. Mais ce n’est pas dit qu’ils n’en développeront pas dans le futur. Si le patient cherche de l’aide, c’est que des problèmes psychologiques ou physiques sont associés. Et ce ne sont pas juste les comorbidités métaboliques», souligne la Dre Morin, qui rappelle que les patients doivent d’abord revoir leurs habitudes de vie. 

Une personne sera considérée «obèse» par le système de santé si elle possède un indice de masse corporelle (IMC) de plus de 30. 

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Un sacrifice pour la santé 

Malgré l’activité physique et les conseils d’une nutritionniste, Andréanne Modérie, 33 ans, n’arrivait pas à perdre les kilos gagnés après une dépression. 

«Comme plusieurs le savent, les antidépresseurs font prendre du poids et il est souvent presque impossible à perdre. J’ai commencé à prendre le médicament [l’Ozempic] le 30 janvier. Je savais qu’il n’était pas remboursé, mais mon conjoint et moi étions prêts à faire ce sacrifice. Ma prise de poids avait une grosse incidence sur ma santé physique et mentale», raconte-t-elle. 

Sa dose de 1 mg lui coûte 255$ par mois. 

Avant de lui prescrire, sa médecin de famille a pris plusieurs choses en considération, dont son IMC «très élevé» et les problèmes de santé possibles associés à son surpoids, indique Mme Modérie. 

«Toute activité était plus difficile avec un surplus de poids, surtout quand on mesure 5’1. Le fait de bouger plus et de me trouver belle aide vraiment mon moral en général», poursuit la mère de famille, qui affirme avoir repris ses bonnes habitudes alimentaires et s’être remise à l’exercice depuis. 

L’Ozempic lui a permis de perdre 50 livres en sept mois. 

Prévenir plutôt que guérir

«C’est extrêmement difficile de maigrir à froid. Et il y a des catégories de patients pour lesquelles on sait que leur surplus de poids va mener à du diabète, de l’hypertension ou du cholestérol», souligne le président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Benoit Morin. 

«On sait que s’ils ne perdent pas de poids, il va leur arriver une crise cardiaque, une thrombose ou la maladie du foie gras, ajoute l’expert. Il y a certaines situations où on est mieux de prévenir que de guérir. Et ce genre de médicament fait partir de l’arsenal. On n’avait rien d’efficace sur le marché avant.» 

Il assure que la plupart de ses patients qui prennent de l’Ozempic sont à risque de développer des maladies chroniques, qui pèsent lourd dans les finances de l’État. 

Le fardeau économique des maladies chroniques atteint des dizaines de milliards de dollars par année. 

«L’obésité est un problème de santé publique ultra-préoccupant. Il faut réévaluer le besoin de la prévenir. Ce sont des coûts astronomiques directs et indirects assumés par l’État», conclut M. Morin. 

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