Atteint d’un cancer, Eric Braeden des Feux de l’amour se confie dans une entrevue exclusive
Franck Ragaine
À 82 ans, il est le patriarche de la série Les feux de l’amour. Comptant plus de 60 ans de carrière, l’interprète de Victor Newman est une véritable légende. Sportif et combatif, cet Allemand naturalisé américain n’a rien perdu de son flegme et de son humour. Des traits de caractère qui lui permettent d’aborder avec optimisme le cancer de la vessie qu’on lui a découvert il y a quelques semaines. Il nous en parle à cœur ouvert.
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Qu’est-ce qui vous a décidé à parler de votre diagnostic de cancer?
Je peux aider beaucoup d’hommes qui souffrent de cette maladie. Avec l’âge, la prostate s’élargit et cela a un impact sur l’urètre, qui ne vide pas aussi bien la vessie que lorsque vous étiez jeune homme. Je n’ai pas 50 ans, j’en ai 82, donc je m’en fiche et j’en suis même fier. C’est important pour moi de partager mon histoire pour aider d’autres hommes aux prises avec le même problème, mais qui ont peur de s’entendre dire qu’ils ont le cancer. J’ai une amie qui a eu le cancer du sein et qui m’a fait comprendre à quel point être informé est important. Il y a tant de nouvelles méthodes pour traiter le cancer... Le mien a été découvert juste à temps, au stade 1. Mais comme c’est un mélange de cellules cancéreuses, je dois passer par ce qu’on appelle l’immunothérapie intravésicale. Le médicament qu’on m’administre contient la même bactérie que celle utilisée pour vacciner contre la tuberculose. On fait des injections directement dans la vessie pour obtenir une réponse immunitaire et combattre les cellules cancéreuses. Je dois suivre des traitements d’immunothérapie pendant six semaines, à raison d’une fois par semaine. Puis, j’aurai six semaines de repos, et encore six semaines de traitements. Une fois que ce sera terminé, il semble que je serai débarrassé du cancer. Quoi qu’il en soit, la raison pour laquelle j’ai décidé d’en parler, c’est pour éliminer la peur et la stigmatisation envers cette maladie.
Quelle a été votre réaction lorsque les médecins vous ont annoncé la nouvelle?
Je me suis dit: «Merde!» Je me souviens d’avoir eu des conversations avec quelques personnes qui avaient eu le cancer. Étant sportif de nature, j’aime relever des défis, et le courage est une valeur importante pour moi. Depuis que je suis gamin, lorsqu’on me dit que je ne vais pas y arriver, je n’ai qu’une envie: prouver le contraire!
Le soutien de votre famille et de vos amis doit être important pour vous...
Ils sont très gentils et font preuve d’empathie, mais je ne parle pas beaucoup de ma maladie, sauf à vous aujourd’hui. Et aussi sur Facebook Live, où j’en parle ouvertement. Vous savez, pour beaucoup, le cancer est devenu presque une étape normale en vieillissant.
Cette expérience a-t-elle modifié vos aspirations, votre état d’esprit?
Je me fous de ce qu’on pense de moi, je n’ai jamais agi en fonction de ce qu’on pensait ou disait de moi. J’ai toujours essayé de rester juste avec les autres. J’ai écouté les expériences et témoignages de ceux qui sont déjà passés par là, et ça m’a rendu très compréhensif au fil du temps.
Vous avez tourné 3970 épisodes des Feux de l’amour. Si vous deviez choisir un seul mot pour décrire cette longévité, ce serait quoi?
La discipline. Également le bonheur et la satisfaction de jouer un personnage. J’aime mon métier, et je m’assure toujours de jouer mes scènes avec le plus d’authenticité possible.
Les producteurs ont-ils modifié le scénario à la suite de l’annonce de votre problème de santé?
Non. Puisque nous tournons de nombreux mois d’avance, il est difficile d’introduire un événement aussi soudainement. Et puis, juste avant, je m’étais fait remplacer le genou gauche. Donc, je récupérais de cette opération et je devais me lever toutes les deux heures pour uriner. J’ai finalement reçu un diagnostic de cancer. J’ai mis plus de temps à récupérer de l’opération, mais je m’entraîne encore tous les jours et je fais beaucoup de boxe. Après des années et des années de football et de sport, mes genoux ne sont plus aussi solides qu’avant.
Quelle a été la réaction la plus touchante des fans depuis l’annonce de votre cancer?
Je reçois des messages émouvants de fans du Canada, de France, d’Afrique du Sud, d’Australie, de Guinée, d’Israël, de Roumanie, de Bulgarie, d’Australie, de Nouvelle-Zélande... Évidemment, il y a aussi de nombreuses réactions d’admira- teurs des États-Unis.
Vous souvenez-vous d’avoir dû relever un défi quasi identique à celui que vous vivez aujourd’hui?
Survivre dans ce métier et survivre à mon enfance dans l’Allemagne d’après-guerre. Je suis né en 1941 et j’ai survécu à tous les bombardements. Ma ville natale a été détruite à 96 %. Ils ont lancé 500 000 bombes sur ma ville! J’ai aussi survécu à une enfance difficile. Mon père est mort jeune et nous avons été plongés dans la misère. J’ai survécu en travaillant dans des fermes. La seule lumière dans ma vie d’enfant et d’adolescent, c’était le sport et les filles. Je tombais amoureux toutes les trois semaines! Débarquer en Amérique seul, à l’âge de 18 ans, a aussi été un défi. Le sport m’a sauvé: il m’a donné le goût de la ténacité. Mais survivre à Hollywood reste une des choses les plus difficiles.
Justement, vous qui êtes acteur à Hollywood depuis 1960, qu’est-ce qui a changé en 2023?
Dans les années 1960, il n’y avait que quelques vraies stars. J’ai travaillé avec Marlon Brando sur un film en 1964. Il y avait quelques séries télévisées, et j’ai participé à presque toutes ces séries. Il y avait moins de possibilités de trouver un emploi. Maintenant, avec toutes les nouvelles plateformes, le champ d’action s’est énormément élargi. En ce sens, il y a plus de possibilités. Mais dans ce métier, soit on est bon, soit on ne l’est pas. En un regard, je peux détecter si un acteur est bidon!
Une fois le cancer guéri, quelle est la première chose que vous voulez faire pour oublier cet épisode?
Je ne suis pas dans cet état d’esprit. Je me sens très bien maintenant. J’ai hâte d’aller en Europe en juin pour voir mon fils (Christian Gudegast), qui réalise son film Den of Thieves 2. J’ai eu un rôle dans le premier, d’ailleurs. Christian est un merveilleux écrivain et un très bon réalisateur. Il tourne à Tenerife, dans les îles Canaries.
On dirait que ce défi vous octroie encore plus de force...
Oui. Mais, pour être honnête, il y a des moments où j’ai les genoux raides lorsque je me lève le matin. Je me dirige vers la salle de bains... et après 5, 10 minutes, ça va. Il ne faut jamais abandonner!
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