Arnaldur Indridason dépeint la dureté de la société islandaise d'antan dans son roman «Les Parias»


Marie-France Bornais
L’écrivain islandais à succès Arnaldur Indridason explore les arcanes les plus sombres de l’humain et de la société islandaise d'antan dans son nouveau roman, Les Parias. Il a imaginé cette fois qu’une veuve trouvait un vieux pistolet datant de la Seconde Guerre mondiale dans les affaires de son mari et l’apportait à la police. Surprise: une vérification montre qu’il a été utilisé pour un meurtre non résolu depuis plusieurs années. Konrad, détective à la retraite, s’y intéresse parce que son propre père, un homme malhonnête assassiné par un inconnu, a eu une arme semblable.

Konrad, au fil de l’enquête, est aux prises avec des dilemmes, avec ses propres démons et avec sa quête de vérité. En cherchant des réponses, parfois même auprès de personnes travaillant dans le domaine paranormal, comme Eyglo la voyante, il révèle la dureté de la société islandaise.
«Les Parias nous permet de découvrir la suite de l’histoire de Konrad, policier à la retraite, nous y obtenons la réponse à une question qui hante le personnage central depuis des années: qui est l’assassin de son père?» révèle l’écrivain en entrevue par courriel, traduite de l’islandais par Éric Boury.
Le dénouement d'une histoire
«En cherchant cette réponse, Konrad se voit entraîné sur les traces d’individus immondes, appartenant à une sorte de réseau pédophile où sont impliqués un médecin, un tailleur et un flic dans le Reykjavik d’après-guerre. Cela constitue un pan de l’histoire que je raconte depuis Les Fantômes de Reykjavik et elle touche ici à son dénouement.»
L’auteur, à travers les personnages qui évoluent dans un roman pur et dur, souhaitait aborder le thème des enfants victimes d’abus sexuels, dont personne n’entendait la voix, plus particulièrement sur la période qui couvre de l’après-guerre jusqu’aux années 1980.
«Ces choses-là étaient alors considérées comme de menus délits dont on ne faisait pas grand cas, contrairement à aujourd’hui. Je décris aussi dans ce livre les conditions de vie difficiles des homosexuels et l’hostilité dont ils étaient victimes en Islande. La plupart devaient se cacher et ne pouvaient pas s’afficher en public sans être agressés. Là encore, les choses ont heureusement beaucoup changé aujourd’hui.»
Konrad est «pétri de défauts»
Konrad, le personnage central du roman, a traversé énormément d’épreuves. «Le plus intéressant chez Konrad, c’est qu’il est pétri de défauts dont il est pleinement conscient. Il passe son temps à se débattre avec ses démons et à tenter de s’amender. Hélas, il a vécu une enfance et une adolescence désastreuses avec son père, petit malfrat d’une grande violence, qui a d’ailleurs fini par être assassiné. Ces choses-là ont accompagné Konrad toute sa vie durant et il a dû attendre d’être vieillissant pour être prêt à les affronter réellement.»
Un mystérieux pistolet allemand
Un pistolet allemand Luger est au cœur de l’enquête, mais l’écrivain ne s’intéresse pas spécialement aux armes, «quelle que soit leur provenance, et le mieux serait qu’elles n’existent simplement pas», commente-t-il.
«La présence du Luger s’explique par le fait que l’Islande a été occupée par l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a profondément influencé la société islandaise. La théorie avancée dans le livre est que ce Luger est arrivé en Islande par le biais d’un soldat américain. J’ai parlé en détail de l’occupation américaine dans d’autres romans (NDT: entre autres dans La Trilogie des Ombres). Rien ne me plaît plus que de mêler la grande Histoire aux intrigues de mes livres.»
L’Islande et Reykjavik
Reykjavik, la capitale, de même que la grande nature de l’Islande sont mises en valeur dans le roman.
«J’ai toujours dit que l’Islande était un cadre de choix pour le roman policier, je le disais y compris quand personne ne croyait possible d’écrire des polars dont l’action sur déroulait sur une petite île à la population restreinte et loin de tout comme la nôtre.»
«Nous avons une nature grandiose sur laquelle écrire, une météo sujette à des changements aussi subits qu’incroyables comme on le voit par exemple dans Les Parias, et nous possédons une culture et une histoire qui sont certes avant tout intéressantes pour nous-mêmes, mais aussi pour les lecteurs étrangers.»
Les Parias
Arnaldur Indridason
Éditions Métailié
320 pages
- Arnaldur Indridason est né à Reykjavik, en 1961.
- Diplômé en histoire, il est d’abord journaliste et critique de films avant de se consacrer à l’écriture.
- Ses nombreux romans sont traduits dans 40 langues.
- Ils ont fait de lui l’un des écrivains de polars les plus connus dans le monde, avec 18 millions de lecteurs.
- Il n'a pas de liens avec le Québec, mais il dit que de nombreux Islandais se sont implantés au Canada.
- Il travaille sur son prochain roman, à paraître pour Noël en Islande.
«La file de véhicules avançait péniblement, précédée
par la déneigeuse qui faisait voltiger la poudreuse, éclaboussant
les voitures. L’engin avançait assez vite sur la
route qui traversait la lande de Hellisheidi vers l’est.
Konrad avait réglé ses essuie-glaces à la vitesse maximale.
Il continuait à neiger, la visibilité exécrable ne
dépassait pas quelques mètres. Le regard rivé sur les feux
arrière de la voiture devant lui, il faisait tout pour ne
pas la perdre de vue. Il avait l’impression que, si elle
disparaissait derrière le rideau de flocons, il se perdrait
définitivement dans la nuit hivernale, que sa jeep quitterait
la route, irait faire des tonneaux dans les champs de lave
qui la bordaient en contrebas, et qu’on ne la retrouverait
qu’au printemps.»
- Arnaldur Indridason, Les Parias, Éditions Métailié
• À lire aussi: Le Culte: voici un polar troublant sur l’univers des sectes
• À lire aussi: «Tout écrivain devrait monter sur scène pour pouvoir tester son pouvoir de conteur» – Bernard Werber
• À lire aussi: Lazare, de Lars Kepler: Joona Linna démontre toute sa force