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L'article provient de Salut Bonjour

Annie-Soleil Proteau s'ouvre sur le suicide de son ami d'enfance dans un texte bouleversant

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Marika Simard

2020-09-14T15:56:00Z
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Annie-Soleil Proteau, notre chroniqueuse aux arts et spectacles, a profité de la Journée internationale de la prévention du suicide pour nous partager une histoire personnelle, dans l'espoir de faire avancer une cause... bien plus grande qu'elle.

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« Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale de la prévention du suicide, et c’est important qu’on se souvienne de lui. Pour éviter à d’autres de se briser comme lui », a écrit Annie-Soleil Proteau. 

 
 

C'est à travers un texte empreint d'amour, partagé sur sa page Instagram, qu'Annie-Soleil Proteau s'est ouverte sur l'histoire de Christian, son « premier petit chum » de la prématernelle. 

 
 

Notre chroniqueuse nous raconte comment, avec ses yeux d'enfant, elle a aimé un garçon drôle, sensible et talentueux. Elle raconte le parcours d'un garçon, qui a oublié de s'arrêter après quelques gorgées. Elle raconte comment la souffrance peut être sournoise, au point de se soustraire à la vie.

 
 

Annie-Soleil Proteau conclut son touchant témoignage sur une note remplie d'espoir, en rappelant que « la vie est rough parfois, mais si vous sentez que vous perdez pied, que ça dérape, parlez. Il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui est là. »

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Voici l'intégral de son texte :

15h15, la cloche sonne. J’ai 6 ans et je t’aime. La pluie est si agressive, je te demande si tu veux faire un tour dans la Firebird jaune poussin de mon père. Je sais que tu la trouves belle. Tu me dis oui ; je souris comme si j’étais à Disney World.

- P’pa, est-ce qu’on peut aller reconduire Christian chez lui ?

Je m’assois derrière avec toi, en espérant très fort que tu vas me prendre la main.

Des années plus tard, on est encore allés te reconduire. Mais cette fois, on ne voulait pas, Christian, on ne voulait tellement pas.

Ce soir, on est plusieurs ti-culs d’Hochelaga à avoir le cœur en miettes, après t’avoir reconduit dans un coin du ciel. Ce soir, c’étaient tes funérailles.

Tu as toujours été le beau gars de l’école, le sportif, le clown. On se battait toutes pour toi. Te souviens-tu de notre mariage en pré-maternelle ? Tu étais mon premier petit chum. Quand j’ai voulu te donner un bec, toi, ça ne te tentait pas, et tu as fait rire tout le monde !

Pourtant, ces dernières années, ta souffrance a eu le dessus sur tes éclats de rire. Tout le monde t’aimait. Sauf toi.

Un jour, je promenais mon chien au Parc Lalancette. Le parc de notre enfance, où même les professionnels voyaient en toi un futur joueur des Expos, ou du Canadien. Je n’exagère pas. Tu avais un talent exceptionnel. Mais ce jour-là, je t’ai vu faire ce que je n’aurais jamais imaginé. Tu quêtais.

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L’alcool est entré dans ta vie sur la pointe des pieds, quand tu étais ado. Une bière dans un party, juste pour faire rire tes amis.
Puis ç’a été deux bières. Puis quinze. Puis la dope, la maudite dope. Tu n’arrivais pas à parler de ton mal de vivre, tu te repliais jusqu’à t’écraser. Ta mère ne pouvait pas voir le carnage qui se préparait : elle s’occupait de ta grand-mère malade, et évidemment, quand tu te défonçais, ce n’était jamais devant elle.

Le sais-tu Christian, à quel point tu manques à ta mère ? C’est vrai qu’elle n’en pouvait plus de te voir comme ça, son enfant si sensible, déchiré dans l’ouragan d’une dépression jamais soignée. Parfois, vous étiez tous les deux au centre d’un ring, à combattre pour ta survie. Et pour la sienne, aussi.

Ta mère a dû apprendre à aimer un tout autre Christian. Un Christian qui lui faisait peur, quand il avait bu. Mais un fils reste un fils, dans le cœur d’une maman, quelles que soient ses tragédies.

Jamais elle n’oubliera son petit garçon souriant, son trésor. Celui qui était là jour et nuit à l’hôpital, quand elle se battait contre le cancer.

Tu manques aussi à ton père et à ta sœur, qui ont le cœur troué à jamais par ta mort. Tu manques à tes amis. Ils n’ont pas tous accepté ce que tu étais devenu. Tu ne pouvais pas leur en vouloir, tu le savais que tu n’étais plus toi-même.

Une semaine avant ta mort, tu as appelé ton grand-père. Tu voulais aller vivre chez lui, en Gaspésie. Là où on ne voit pas de l’autre côté de la mer infinie.

Ton grand-père savait, lui, que les grands vents gaspésiens avaient beau être majestueux, ils ne seraient pas suffisants pour briser tes chaînes. Il t’a offert de te payer une cure, celle de ton choix. Mais ton choix, ç’a été de mourir.

Tu feras bientôt ta dernière ride. Ta mère emportera ce qui reste de toi dans ta belle Gaspésie. Sur la route, ton rap vibrera. Elle écoutera ta chanson, à tue-tête, et à tue-cœur.

En somme, je suis l'homme de la pluie, l'enfant du beau temps
Mais le temps fuit et m'entraîne avec lui dans l'oubli
Qu'importe le pourquoi, le vent m'emporte à petits pas

Ce n’est pas le vent qui t’a emporté. C’est toi qui as choisi de partir. Ce qui a été emporté, c’est une immense partie de ceux qui t’aimaient. En te tuant, tu les as tués un peu, eux aussi. Pourtant Christian, tous continuent de t’aimer, profondément et pour toujours.

La vie est rough parfois, mais si vous sentez que vous perdez pied, que ça dérape, parlez. Il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui est là.

Et Christian, je te l’envoie dans ton ciel, le bec que tu ne voulais pas en maternelle.

Annie

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