Anaïs Favron se confie sur son récent diagnostic de douance
Samuel Pradier
Anaïs Favron a toujours eu l’impression d’être différente des autres sans savoir exactement pourquoi. À l’âge adulte, elle a passé des tests qui ont confirmé sa douance, ou haut potentiel intellectuel (HPI). Mais cette forme d’intelligence entraîne beaucoup de souffrance et de difficultés. Elle a accepté de parler de son expérience dans le but de pouvoir aider des jeunes, ou leurs parents, qui s’y reconnaîtraient.
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Anaïs, qu’est-ce que la douance, exactement?
C’est assez compliqué à résumer, mais on pourrait dire que la douance concerne quelqu’un qui a un quotient intellectuel plus élevé que la moyenne, mais qui a aussi de la difficulté à bien le gérer. Ça vient souvent avec une hypersensibilité au son et/ou à la lumière, des problèmes de justice, des difficultés dans les relations sociales... L’autisme Asperger est, par exemple, une douance avec de l’autisme. Un enfant qui a de la misère à lire et à écrire à l’école peut aussi être en douance, mais on va souvent passer à côté. Il y a beaucoup de gens doués qui ne finissent pas leurs études, parce que lorsqu’on ne rentre pas dans un moule, on pense juste qu’on n’est pas bon ni intelligent, et on décroche.
Comment as-tu découvert que tu avais de la douance?
Je l’ai découvert en étant adulte, en faisant des entrevues avec des psychologues. J’ai toujours pensé avoir un petit côté autiste, parce qu’on parlait beaucoup de l’autisme. Personne ne s’en rendait compte, j’ai fait mon petit chemin. Je ne voulais pas avoir d’étiquette.
Quels sont les signes, dans ton cas?
Je n’aime pas être dans une foule ni quand il y a trop de lumière ou des sons trop forts. Je ne suis jamais sortie dans un bar, je n’ai jamais eu de Walkman. Je doute énormément, je fais beaucoup d’anxiété. J’ai peur de plein de choses, je suis hyper perfectionniste, et on sait qu’être perfectionniste n’est pas nécessairement une qualité. Parfois, je vais m’empêcher de faire quelque chose de peur que ça se passe mal. J’ai refusé des offres d’emploi de peur que ça ne fonctionne pas, j’ai été stressée toute ma vie pour plein de choses. Il n’y a pas deux doués pareils. En même temps, peu importe ce que j’essaie, je suis quand même bonne dans tout. J’observe beaucoup. Mais je n’ai jamais excellé en rien parce que je ne suis pas capable de ne faire qu’une seule chose.
As-tu reçu un diagnostic officiel?
Je discutais avec une neuropsychologue spécialisée en douance, parce que je faisais des capsules pour le site aidersonenfant.com. Lorsque je lui ai parlé de mon autodiagnostic d’autisme, elle m’a dit que ce n’était pas ça et elle m’a invitée à la consulter. J’ai décidé de passer tous les tests et c’est là que j’ai su ce que c’était. Pour moi, la douance, ça évoquait des petits génies à l’école et ça venait avec un petit côté prétentieux. Mais ce n’est tellement pas ça! Oui, j’ai un bon QI, mais je n’ai pas les émotions pour être capable de bien le gérer. Si j’avais su ça avant, j’aurais travaillé moins, j’aurais fait plus attention à moi, je ne me serais pas forcée à agir comme tout le monde. Aujourd’hui, je m’écoute plus, je me donne plus de chances. J’arrête de me taper dessus et de me juger. La douance joue beaucoup sur l’estime de soi, chose que j’ai réussi à contourner grâce à mes parents, au sport et à l’art. Le conseil que je donne aux parents d’enfants doués, c’est de les aider à trouver leur passion, peu importe ce que c’est.
Étais-tu une première de classe à l’école?
J’étais super bonne, et j’avais des notes excellentes. L’école de mon quartier offrait un programme pour les surdoués et j’en faisais partie. J’étais bonne, mais je n’étais pas la meilleure, parce que je suis très brouillonne. En français, par exemple, je faisais beaucoup de fautes, j’oubliais des mots dans mes phrases, et ce n’était pas grave pour moi. Par contre, en maths et en sciences, j’étais super bonne. Quand c’est logique, je suis excellente. Mais je ne me suis jamais sentie bollée.
Comment as-tu réussi à passer à travers ta vie professionnelle en étant exposée à la lumière et au bruit, entre autres?
Je faisais ce que j’aimais, et il y a toujours des défis et des choses à apprendre. J’aurais été incapable d’avoir un emploi que j’apprends et où, ensuite, je fais toujours la même chose. J’ai besoin que chaque jour soit différent, d’être toujours en apprentissage. Mon métier est parfait pour ça, parce que quand on est bon dans quelque chose, on passe ensuite à un autre projet. C’est vrai que, lorsque je lis des textes sur la douance, je me demande comment ça se fait que je sois arrivée dans ce métier. Mais, depuis le début de ma carrière, ce sont des gens qui m’ont proposé de faire partie des projets. Je n’ai jamais dit que je voulais faire telle ou telle chose. La radio est venue me chercher grâce à l’impro, que je faisais parce que j’étais avec mes amis au secondaire. Je m’amusais au théâtre. J’ai juste accepté des opportunités qui se présentaient à moi, c’était plus facile.
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Pour une personne douée, se lancer dans quelque chose d’inconnu ne fait-il pas peur?
Probablement, sauf que je suis vraiment curieuse. Je veux tout connaître, tout savoir, tout essayer. Mais, par exemple, je ne savais pas que je souffrais d’anxiété. Quelqu’un d’anxieux était, pour moi, quelqu’un de paralysé par la peur. Je ne l’étais pas. Par contre, je planifie ma semaine, je prévois mes repas, mes vêtements... Je suis tellement à mon affaire que j’ai toujours cru que c’était de l’organisation, mais c’est plutôt une manière de contourner l’anxiété. En fait, je suis tellement bonne à combattre l’anxiété que j’ai toujours pensé que je n’en faisais pas.
As-tu rencontré des difficultés à cause de la douance dans ta vie personnelle?
Dans ma vie personnelle, je ne sais pas, mais dans ma vie professionnelle, certainement. Je sais aujourd’hui que j’ai fait des crises d’anxiété ou des crises d’émotion. À l’époque, je pensais juste que j’étais folle. Je faisais des réactions à certaines choses, mais je sais maintenant que c’était des crises. Je comprends ce que je peux faire et où je ne peux pas aller. Je fais aussi beaucoup plus attention à moi. Après des gros rushs de travail, je sais que je dois faire une pause, prendre du temps pour moi, faire davantage de yoga.
Est-ce qu’il y a un traitement ou quelque chose pour aider?
Pour la douance comme pour l’autisme, il n’y a pas de traitement. Il faut juste connaître les signes, connaître ses limites. Il y a aussi des doués qui réussissent très bien. Si on est doué et passionné par les sciences, on va être génial dans ce domaine. C’est plus difficile dans le milieu artistique, d’autant plus que dans mon cas, je me pose beaucoup trop de questions. Je ne suis jamais contente, car ce n’est jamais parfait. Si j’ai une note de 98 %, je vais me triturer pour savoir quel est le 2 % d’erreur. Ça me fait perdre un temps fou, et j’ai beau me dire que ce n’est pas grave, je ne suis pas capable de me débarrasser de ces questions. Pour m’en sortir, il faut que je me change les idées, que je remplisse mon cerveau pour passer à autre chose. En écriture ou en création, il y a des journées où je suis tellement affectée par quelque chose que je sais que je ne pourrai pas travailler, et je prends une journée de congé.
La douance a-t-elle eu un impact sur tes relations sociales?
Je ne pense pas... Mes amis me connaissent, ils savent comment je peux réagir. La douance n’a jamais paru, personne ne l’a su, j’ai toujours été dans plein de groupes d’amis, j’ai toujours fait plein de choses.
Est-ce que tes parents ont été surpris lorsque tu leur as annoncé ta douance?
Pas du tout! La plupart des doués ont marché plus tôt, ont su lire et écrire avant de rentrer à l’école, et ont eu un apprentissage plus rapide dans la petite enfance. Je savais tout ça, mais je pensais que c’était parce que j’avais un grand frère. Je pensais que je l’avais fait par mimétisme. Ma mère m’a dit qu’elle savait qu’il y avait quelque chose. Elle m’a raconté que je regardais
la télé et qu’ensuite, j’allais m’asseoir au piano et je jouais le générique de la fin de l’émission à l’oreille. Dans ma tête, je pensais que tout le monde faisait ça, je ne me suis jamais pensée intelligente.
La douance, est-ce vraiment de l’intelligence?
C’est une forme d’intelligence. La logique est très développée. Mes gros talents, c’est de placer des bagages dans une voiture, faire des casse-têtes, des choses logiques avec une solution. Les mathématiques, c’est ma forme d’intelligence. Mais, par exemple, l’intelligence émotive est complètement autre chose.
POUR MIEUX COMPRENDRE LA DOUANCE
Anaïs Favron a beaucoup appris sur la douance en écoutant le balado Différente ou douée?. «C’est une fille qui a fait ce projet pendant qu’elle découvrait qu’elle était en douance. J’ai tout écouté et, quand j’ai commencé à en parler, je me suis mise à aller prendre des cafés avec des gens que je ne connaissais pas, mais qui ont aussi une douance. Juste pour échanger, j’avais besoin d’en parler avec quelqu’un.» Elle recommande aussi le livre de Marianne Bélanger La douance: Comprendre le haut potentiel intellectuel et créatif ainsi que J’aime les zèbres, de Dominic Gagnon, dans lequel elle livre également son témoignage.
Anaïs Favron publiera, cet automne, l’ouvrage Les carnets de voyage d’Anaïs.