Procès d'Amalega Bitondo: une scène surréelle à la cour
Michael Nguyen | Journal de Montréal
Le procès de l’antivaccin détenu parce qu’il refuse de porter le masque à la cour a donné lieu à une journée surréelle avec son arrivée sans couvre-visage, un appel à un avocat en pleine salle à la demande d’une interprète judiciaire, suivi d’un long monologue où il a commencé à parler de toutes ses croyances même si cela prolonge sa détention.
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«Je connais [François Amalega Bitondo], ce n’est pas mon travail, mais un avocat est disponible pour le représenter. Mais on ne sait pas s’il est au courant», a lancé ce matin une interprète officielle, sonnant le début d’une journée comme on n’en voit jamais à la Cour municipale de Montréal.
Cette femme, qui ne s'est pas nommée, est celle qui, en début de semaine, avait félicité le complotiste parce qu’il ne portait pas le masque. Elle se promène d’ailleurs dans les corridors de l’édifice avec le masque soit sous le nez, soit sous le menton. À certains moments, elle a même dû se faire rappeler de le porter convenablement.
Amené sans masque
Amalega Bitondo, 43 ans, est détenu depuis mardi parce qu’il ne voulait pas porter le masque dans la cour municipale pour subir un procès pour entrave à la police. À cause de son refus de se rendre à la salle de cour, il a été arrêté.
Or, ce vendredi, un policier qui s’occupe de la détention a expliqué qu’Amalega Bitondo refusait toujours de porter le masque dans ses déplacements. Sauf que cette fois, il a quand même été emmené devant le juge Randall Richmond, sans masque.
Il est assis dans un box avec une petite barrière de plexiglas... à hauteur du bassin quand il se lève pour parler.
Inhabituel
Mais ce n’était encore que le début d’une journée surréelle au tribunal.
InclusionJean Dury float
Le juge a ensuite voulu vérifier que l’accusé souhaitait se défendre seul, l’ex-professeur de mathématiques a confirmé que c'était bel et bien le cas, mais, apprenant que Me Jean Dury serait peut-être disponible pour le représenter, il a accepté que l’avocat soit contacté.
«Je ne veux pas d’avocat qui [tienne] pour acquis que les mesures sanitaires [sont légales], a dit Amalega Bitondo. Il est le seul à qui je peux faire confiance.»
Rapidement, le magistrat a alors demandé à la greffière d’appeler cet avocat qui semble souscrire, du moins en partie, aux théories de l'accusé. Cela s’est fait en pleine salle d’audience.
«C’est inhabituel», a convenu le magistrat, alors que Me Dury était à l’autre bout du fil.
Après que le juge eut expliqué la situation, l’avocat s’est dit prêt à rencontrer l’accusé ce matin. Me Dury est arrivé en trombe et, après discussion, il s’est dit prêt à agir un peu comme un ami de la cour, tout en le guidant dans les démarches d’Amalega Bitondo, tout en plaidant si besoin est.
«C’est vrai que c’est inhabituel et un peu ambigu mais c’est préférable à l’alternative [que l’accusé] soit sans la moindre assistance légale», a commenté le juge.
Résistance au Maxi
Le procès a ainsi pu commencer par l’assistant-gérant qui a dû gérer le cas d’Amalega Bitondo dans une épicerie en mars 2021. Selon ce témoin, l’accusé s’était présenté pour faire des achats sans masque et quand il s’est fait prévenir, il est devenu verbalement agressif.
«Il est parti sur quelque chose pas rapport, il a dit d’appeler la police, son ton était assez agressif pour qu’une caissière et moi-même soyons stressés», a expliqué le témoin.
L’assistant-gérant a toutefois voulu laisser une chance à Amalega Bitondo, mais quand ce dernier est revenu faire un autre achat sans masque, il a appelé le 911.
Un des policiers qui sont intervenus ce jour-là a expliqué qu’Amalega Bitondo s’est alors mis à déblatérer des théories conspirationnistes en lien avec la COVID-19 et le gouvernement. Cela n’a toutefois pas empêché l’antimasque de retourner dans le commerce malgré les avertissements, suivi par les policiers, qui ont dû le maîtriser pour qu’il quitte les lieux.
«Il s’est débattu activement», a expliqué le policier qui a ensuite parlé pendant une heure avec le complotiste.
Et dès que les policiers sont partis, Amalega Bitondo est retourné dans le commerce avant de se faire expulser à nouveau par des agents qui s’étaient postés à l’intérieur.
Zéro empathie
À la suite de la preuve de la Couronne, c’était au tour de l’accusé de présenter sa défense. Et pour lui, peu importe ce qu’il a fait, il doit être acquitté.
«Même si je suis coupable, je dois être acquitté, a-t-il assuré. Je veux que vous compreniez mon cerveau quelques minutes. Je vais essayer d’être bref.»
Sauf que ces «quelques minutes» risquent d’être longues, car il a décidé de se lancer dans une interminable diatribe pour déblatérer ses pensées complotistes. À coups d’amalgames, de généralisations et de raccourcis intellectuels, il a tenté de convaincre le juge que la pandémie n’existait pas.
Ce qui a frappé était l’absence totale d’empathie pour toutes les personnes décédées lors de la première vague, au printemps 2020, tout cela pour justifier son propre désir de ne pas porter de masque.
Il préfère la prison
Et si le juge l’a laissé parler malgré que la poursuite l’eût «imploré de recadrer le débat», c’est pour comprendre son état d’esprit au moment des infractions. Tout en prévenant Amalega Bitondo que cela n’allait que prolonger sa détention. Car même s’il était déclaré coupable, la détention préventive ferait en sorte qu’il sortirait de prison le jour même.
«Je suis très content qu’un juge soit prêt à m’écouter, je suis prêt à prendre le temps nécessaire», a répliqué l’ex-professeur de mathématiques.
Ainsi, Amalega Bitondo restera à la prison de Bordeaux jusqu’à la suite de son procès, mardi prochain. Et même si le centre de détention ne permet pas aux détenus d’avoir accès à leurs effets personnels, l’accusé aura le droit de consulter tout son matériel informatique «pour préparer son procès», sur ordre du tribunal.
«Si [les services correctionnels] de ne pas prendre au sérieux cette ordonnance, ça peut avoir un impact», a prévenu le juge, mettant ainsi fin à une journée plus qu’inhabituelle à la cour municipale.