Reprise de l'Afghanistan par les talibans: ce que vous devez savoir pour comprendre ce qui se passe
Gabriel Ouimet
Les critiques fusent de toute part à l’endroit des États-Unis depuis la reprise de l’Afghanistan par les talibans ce dimanche, puisqu’elle semble confirmer l’échec d’une intervention de plus de 20 ans dans le pays. Mais comment cela s’est-il produit et quelles seront les conséquences pour les États-Unis?
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Pendant que s’achève le retrait des troupes américaines, qui devrait officiellement se terminer le 11 septembre, les talibans ont facilement vaincu les troupes gouvernementales afghanes pour reprendre le contrôle du pays.
Une situation que le président de l’Observatoire sur les États-Unis et fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Charles- Philippe David, qualifie de «véritable claque au visage» pour les Américains, qui assuraient avoir bien fait les choses sur le terrain.
«L’administration Biden a complètement foiré la sortie, il s’agit d’une faillite à tous les niveaux: politique, mais aussi gouvernementale», poursuit-il.
Un retrait précipité
Le retrait des troupes américaines a pourtant été longuement négocié entre les deux ennemis.
En 2018, les talibans et les Américains avaient entamé des pourparlers qui ont mené à la signature d’un accord de paix en 2020, à Doha. Le retrait des troupes américaines était alors conditionnel à ce que les talibans cessent leurs attaques contre les Américains et entament des négociations de paix avec Kaboul.
Mais au cours de l’année qui a suivi, les talibans ont continué de s’en prendre aux forces de sécurité et aux civils afghans tout en progressant rapidement dans le pays.
Malgré cela, le 14 avril 2021, le président Joe Biden annonce le retrait complet des troupes américaines pour le 11 septembre 2021, peu importe comment avancent les négociations entre les forces afghanes et les talibans, contre l’avis des services de renseignements américains, selon M. David.
«Les services de renseignements avaient pourtant averti la Maison-Blanche depuis plusieurs semaines, peut-être même un ou deux mois, que la situation se dégradait très vite et qu’il fallait bien planifier la stratégie de sortie. Ils n’ont visiblement pas été écoutés», dit-il.
Résultat: il ne leur aura fallu que 10 jours afin de reprendre le pouvoir.
Une avancée fulgurante
Au début du retrait des troupes internationales d’Afghanistan en mai dernier, tant Washington que Kaboul avaient pourtant confiance en la capacité de l’armée afghane à contrer les talibans.
Sur papier, le duel ne faisait aucun doute: les forces afghanes étaient beaucoup plus nombreuses, elles ont été formées par les meilleures armées de la planète et étaient dotées d’équipement à plusieurs milliers de dollars.
En réalité, le moral des troupes était à plat. L’armée était rongée par la corruption, un commandement médiocre et un manque d’entraînement depuis des années.
Selon l’AFP, les talibans ont commencé à négocier la capitulation des troupes gouvernementales avec des responsables politiques et militaires bien avant le début de leur offensive.
Dans ce contexte, les talibans, moins nombreux, mais plus déterminés et mieux coordonnés, ont facilement et rapidement avancé de ville en ville, souvent sans un coup de feu face aux soldats afghans qui rendaient les armes ou désertaient.
C’est ce qui leur a permis de prendre possession de Kabul dimanche dernier, au désespoir de milliers de personnes qui tentent maintenant par tous les moyens de quitter le pays.
Un butin de guerre embarrassant
En faisant battre en retraite l’armée afghane, les talibans ont aussi réussi à s’emparer d’un butin de guerre important.
Des images largement diffusées sur les réseaux sociaux montrent des combattants s’emparant d’armes à la fine pointe de la technologie comprenant des armes automatiques, des fusils de précisions, des véhicules blindés équipés de lance-roquettes et même des hélicoptères d’attaque Black Hawk, rapporte l’AFP.
In the past 24 hours Taliban forces have managed to capture the following aviation assets:
— Oryx (@oryxspioenkop) August 13, 2021
2x UH-60 Blackhawk transport helicopters
2x MD-530F attack helicopters
4x Mi-17 transport helicopters
4x Scan Eagle UAVshttps://t.co/KYb639bVYR pic.twitter.com/TdJNYtfe1N
C’est que depuis 20 ans, les États-Unis ont dépensé 83 milliards de dollars pour former et équiper l’armée locale.
Selon les chiffres de l’Inspecteur général pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), un organisme du congrès, l’armée américaine a accordé plus de 7000 fusils mitrailleurs, 4700 véhicules blindés et plus de 20 000 grenades.
Quelles conséquences pour les États-Unis?
Ces images ont d’ailleurs eu un impact important dans l’opinion publique américaine.
Selon le plus récent coup de sonde réalisé par Politico et Morning Consult du 13 au 16 août, seulement 49% des 1999 électeurs interrogés soutenaient la décision du président Joe Biden de retirer les troupes du pays, contre 69% en avril, quand il avait annoncé que les soldats auraient quitté le pays d’ici le 11 septembre.
De plus, 45% de ces électeurs croient que les États-Unis ne devraient pas retirer leurs troupes si ce départ permet aux talibans de reprendre le pouvoir, comme cela est finalement arrivé.
Sur le plan international, Charles- Philippe David croit qu’il est très difficile de prédire les conséquences qui émaneront de la prise de pouvoir des talibans pour les États-Unis au moment où l’on se parle.
«Nous ne connaissons pas encore la force du séisme. Il faudra voir comment tout le monde à l’extérieur de l’Afghanistan va réagir puisqu’en ce moment, c’est très désordonné et il n’y a pas de consensus international sur le comportement à adopter envers le nouveau pouvoir», explique-t-il.
Il croit cependant que la bévue sonnera officiellement la fin de la politique interventionniste des États-Unis à l’étranger, puisque celle-ci est presque déjà disparue.
«C’est le dernier clou dans le cercueil, il n’y a plus d’appétit pour de l’intervention», dit-il.