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Collision entre voiture et piéton: «pourquoi parle-t-on d’un accident?»

Photomontage Marilyne Houde
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Maïté Belmir

2023-01-26T15:49:48Z
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On peut donc supposer qu’en privilégiant un certain vocabulaire, on rejoindra un public plutôt qu’un autre. Par exemple, il faudrait placer l’automobiliste comme sujet de la phrase : «Un automobiliste percute un piéton» au lieu de «Un piéton happé par une voiture». La première proposition est plus explicite et personnalise aussi l’accident, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on parle de véhicule.

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«Pourquoi parle-t-on d’un accident plutôt que d’une collision?», s’étonne Anne-Sophie Gousse-Lessard, docteure en psychologie sociale et environnementale. Selon la spécialiste, les mots jouent un rôle dans la manière dont les individus perçoivent les choses dans la société.

«Les mots ont un sens. Ce sont des moules à penser. Quand on choisit d’utiliser un mot, ça active tout un schéma, basé sur nos références individuelles. Les mots utilisés vont influencer notre attention à l’égard de certains messages». 

En d’autres termes, selon les mots choisis et la formulation utilisée, les individus vont se sentir plus ou moins concernés par l’information donnée. 

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L’experte explique également que le choix des mots peut influencer les processus décisionnels des automobilistes: «Est-ce que j’ai une part de responsabilité dans cette situation? Est-ce que je peux y faire quelque chose? Est-ce que je dois agir?». 

On peut donc supposer qu’en privilégiant un certain vocabulaire, on atteindra un public plutôt qu’un autre. Par exemple, il faudrait placer l’automobiliste comme sujet de la phrase : «Un automobiliste percute un piéton» au lieu de «Un piéton [est] happé par une voiture». La première proposition est plus explicite et personnalise aussi l’accident, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on parle de véhicule.

Un impact sociétal

Pour la Dre Gousse-Lessard, le rapport à la voiture et sa place dans l’imaginaire collectif sont minimisés. «Comment se fait-il qu’on oublie qu’on a une arme de plus d’une tonne entre nos mains lorsque l’on conduit?», s'interroge-t-elle. 

Cela nous mène parfois à atténuer l’importance d’un fait par le choix des mots, précise-t-elle. On ne devrait pas déresponsabiliser les gens. Selon elle, les moins vulnérables devraient faire attention aux plus vulnérables, et non le contraire. Autrement dit, une personne au volant d’un VUS devrait toujours être vigilante à l’égard des piétons et des cyclistes, beaucoup plus fragiles qu’elle sur la route. 

Dans l’inventaire des publications recensées1 en décembre 2022 dans divers médias québécois, 70% des titres avaient pour sujet un cycliste ou un piéton. Les automobilistes et les véhicules n’étaient donc les acteurs principaux dans la phrase que dans 30% des cas.

Joël Lemay / Agence QMI
Joël Lemay / Agence QMI

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Jacques Nacouzi, citoyen engagé, fervent praticien du déplacement actif et propriétaire d’un commerce dans la rue Saint-Denis, a décidé de créer en 2020 le site internet violenceroutiereqc.ca dans lequel il publie des articles de presse: «Je me suis dit que j’allais montrer toutes les nouvelles qui parlent de ces accidents, en proposant des titres différents.»

Pour lui, il faudrait être plus précis dans la manière de retransmettre les informations : «Par exemple, si l’âge a un rôle à jouer dans l’accident, alors oui, il peut être pertinent de le préciser.»

Il regrette notamment que les circonstances ne soient pas toujours décrites. «Pour la petite Maria décédée le 14 décembre dernier en allant à l’école, il y a eu un suivi dans les médias, mais le plus souvent, il n’y en a pas après l’accident. C’est regrettable, car cela permet aussi de mieux comprendre les circonstances.»

M. Nacouzi fera un tweet chaque mardi matin, tout au long de l’année, en mémoire de cet événement tragique. 

Une mobilisation citoyenne

«Les accidents deviennent des banalités. On les retrouve parfois dans les faits divers», déplore Jacques Nacouzi. 

L’homme, très impliqué dans les débats publics au moment du déploiement du Réseau express vélo (REV), est agacé par la formulation des idées qui concernent l'aménagement de la ville. 

Pour lui, «il vaut mieux dire qu’on ouvre une rue aux piétons, plutôt que de dire qu’on la ferme aux voitures. C’est quelque chose qu’on a beaucoup utilisé ces derniers mois pour l'avenue du Mont-Royal par exemple. La tournure des phrases change complètement la perspective», ajoute le citoyen engagé. 

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L’homme qui s’est inscrit au microprogramme de 2e cycle en Mobilité, transport et urbanisme de l’Université de Montréal ne compte pas s’arrêter là. C’est pourquoi il a créé une nouvelle section dans son site internet, où il propose des aménagements pour la ville de Montréal. «Un panneau de circulation ne sauve pas des vies, il faut aller plus loin.»

L’objectif de son site internet est de conscientiser la population, mais aussi d’apporter des solutions. «Je ne veux pas être seulement celui qui chiale!», ajoute-t-il.

D’après un bilan partiel de la SAAQ publié en septembre dernier, 39 piétons avaient été tués dans des accidents, soit une augmentation de 14,7 % par rapport à l’an dernier, pour la même période. Le bilan définitif sera bientôt publié.


1 Vingt publications de médias québécois, sélectionnées de façon aléatoire, s'échelonnant du 1er au 31 décembre 2022, et où on relate une collision entre un véhicule et un piéton ou un cycliste. 

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