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Abolir le système pénal: la solution pour assurer la sécurité des travailleuses du sexe?

AFP
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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2022-05-25T21:16:10Z
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Pour assurer leur sécurité, des travailleuses du sexe plaident pour une décriminalisation complète de leur travail. Mais leur proposition va plus loin. Certaines estiment qu’en abolissant le système pénal tel qu’on le connaît, elles seraient moins sujettes aux violences et à l’exploitation.

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«Si on part du principe que le système pénal actuel ne nous protège pas, on n’a pas le choix d’imaginer un autre monde où les conflits seraient gérés différemment», fait valoir Adore, une militante du Comité autonome du travail du sexe (CATS) en marge d’une discussion organisée vendredi avec l’experte abolitionniste, Gwenola Ricordeau. 

Des dizaines de personnes se sont entassées au Atomic Café du quartier Hochelaga, à Montréal, pour comprendre comment fonctionnerait un monde sans police, sans prison et sans tribunaux. 

Mais surtout, quel serait l’effet de l’abolition de ce système pénal sur les groupes vulnérabilisés, comme les femmes, les personnes autochtones et les travailleuses du sexe. 

«Ces groupes sont en fait les cibles des politiques pénales», soutient la professeure associée en justice criminelle à la California State University, Gwenola Ricordeau. 

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«Si on parle plus spécifiquement des femmes, c’est un scandale absolu le taux de violences qui leur est fait et l’absence de réponse qui est donné à ça», dit-elle. «On est maintenu dans cette illusion qu’on devrait continuer à criminaliser certains hommes, mais ça n’a aucun effet sur le niveau de violences faites aux femmes.» 

Et c’est exactement ce qu’avancent les militantes du CATS et du Indigenous Sex Work and Art Collective. «On veut s’organiser à l’extérieur du système pénal», affirment-elles. 

Pour elles donc, la perspective abolitionniste est une option «très intéressante». 

«Le système de justice ne nous protège pas et n’a pas la capacité à faire face à l’exploitation», précise Adore. «Tout l’argent qu’on met dans le système pénal n’est pas réellement investi dans notre sécurité.» 

«Les travailleuses du sexe sont déjà plus à risque de vivre de la violence parce que c’est caché et que peu de gens dans notre entourage savent ce qu’on fait», poursuit-elle. «Le stigma fait en sorte qu’on ne peut pas se créer un réseau.» 

Et partout dans le milieu, on constate en effet que la violence envers les travailleuses du sexe n'a cessé d’augmenter depuis les deux dernières années. 

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Décriminaliser pour la sécurité   

Depuis 2014, la loi fédérale cible l'achat de services sexuels et l'exploitation des personnes plutôt que les travailleuses du sexe. Ce sont donc les clients et les tierces parties qui sont criminels dans cette industrie. 

«Pour nous, ça ne fonctionne pas du tout la criminalisation des clients et des tierces partis. Même si on a l’immunité, en théorie, il y a beaucoup de facteurs qui font qu’on ne se sent pas en sécurité», assure Adore. «Les clients ne veulent pas s’identifier parce qu’ils sont criminalisés. Ça devient difficile pour nous de cibler les mauvais clients.» 

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Et même si elles portent plainte pour agression, «les travailleuses du sexe ne fit pas dans l’idée de la victime parfaite», lance-t-elle. 

Elles se retrouvent encore plus isolées donc, et à risque de subir des violences. 

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Adore cite le cas de Marylène Lévesque, 22 ans, qui a été assassinée en 2020 dans un hôtel de Québec par Eustachio Gallese, un client du salon de massage où elle travaillait. 

Il était connu comme un client dangereux dans l’industrie. 

L’agresseur avait purgé une peine de prison pour le meurtre de sa conjointe et était en liberté sous condition. 

«Son agente de libération savait qu’il fréquentait les travailleuses du sexe, mais elle jugeait que c’était une façon normale pour lui de vivre sa sexualité et que comme ça, il n’allait pas violenter d’autres femmes», dénonce Adore. 

Droit du travail   

La première étape pour assurer leur sécurité selon les militantes: décriminaliser totalement le travail du sexe. 

En les reconnaissant comme travailleuses, elles auraient des recours légaux en cas d’accident de travail, de discrimination, de violences ou de harcèlement à travers le droit du travail. 

Mais sans mesures d’aide financière, les femmes en situation de prostitution «font ce qu’elles ont à faire pour survivre», soulignait en janvier 2021 Jennie-Laure Sully de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, dans un article sur la hausse des cas de violence envers les travailleuses du sexe. 

«On aurait accès à des logements et des programmes sociaux, des prestations pour la garde de nos enfants, on aurait une sécurité économique. Quand tu es dans une situation de précarité, il y a des choses que tu ne fais pas entièrement par choix», rappelle Adore.

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