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L'article provient de 24 heures

Peut-on vraiment parler d'une explosion de la violence par armes à feu à Montréal? On fait le point

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Mathieu Carbasse et Genevieve Abran

2021-12-02T12:00:00Z
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Vous pensez que Montréal est devenue une ville dangereuse? Vous avez peur de la prochaine fusillade et songez même à quitter la métropole? C'est clair que des événements récents comme le meurtre gratuit d'adolescents frappent l'imaginaire. Mais ne commencez pas vos boîtes trop vite car ce portrait angoissant est assez éloigné de la réalité. 

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«Comment peut-on éviter que Montréal ne devienne un véritable Far West?», «Deux fusillades en une soirée à Montréal», «La violence est loin de s’estomper à Montréal»... Dans la dernière année, des évènements impliquant des armes à feu ont fait régulièrement les manchettes des journaux dans la métropole. La sphère politique s’est emparée de la question, faisant de la violence armée un enjeu de premier plan. 

Photo d'archives, Agence QMI
Photo d'archives, Agence QMI

Face à ce climat de peur généralisé, il est alors légitime de se poser la question : Montréal est-elle vraiment devenue plus dangereuse qu’avant?  

Prenons un pas de recul et observons la situation.  

Plus violente... mais à quel point ? 

Au 31 octobre 2021, on totalisait 13 homicides par armes à feu sur le territoire, selon des données du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) obtenues par le 24 heures. Le décès du jeune Thomas Trudel en novembre fait monter ce chiffre à 14. Il s’agit d’une augmentation significative par rapport à 2020, première année pandémique, lors de laquelle 5 décès avaient été rapportés. Les chiffres sont toutefois dans la lignée des années précédentes : 14 homicides étaient recensés en 2018, 10 en 2019.  

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Source : SPVM
Source : SPVM

Sur le plan statistique, on ne peut donc pas parler d’une flambée de violence, même si certains homicides impliquant des armes à feu ont marqué les esprits, notamment ceux de deux adolescents innocents, Meriem Boundaoui et Thomas Trudel. 

Un mémorial en l'honneur de Thomas Trudel.
Un mémorial en l'honneur de Thomas Trudel. Thierry Laforce / Agence QMI

En revanche, le nombre de tentatives de meurtre a nettement augmenté, passant de 33 en 2019 à 57 en 2020 et 51 jusqu’à maintenant en 2021. Tout comme le nombre de crimes contre la personne lors desquels une arme à feu était présente (utilisée ou non), en hausse également depuis deux ans. 

Cette hausse de violence reste modérée, avance Ted Rutland, professeur agrégé de l’Université Concordia. «Ce qui est hors normes, c’est le nombre de coups de feu sans victimes. Mais il est difficile de comparer aux années précédentes parce que cette catégorie n’est chiffrée que depuis 2020 par le SPVM. C'est donc un phénomène qu’on observe uniquement depuis cette année.»

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 Selon le spécialiste des questions de sécurité urbaine, Montréal serait même «aussi sécuritaire cette année que les années précédentes, et beaucoup plus sûre qu’il y a 10 ans». 

Même son de cloche pour Irvin Waller, criminologue à l’Université d’Ottawa. Le manque de données probantes de la part du SPVM ferait qu'il est difficile d’observer une tendance et de parler d’une flambée de violence dans les rues de Montréal.  

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«À Toronto, les chiffres sont compilés et mis à jour régulièrement sur un dashboard. À Montréal, les seuls chiffres facilement accessibles sont ceux donnés par la presse. Et si on se fie aux manchettes des journaux, il s’en dégage une impression de panique. Pourtant, c’est clair que ça n’augmente pas en flèche.» 

David Shane, inspecteur et porte-parole du SPVM, va dans le même sens : les événements où il y a eu des coups de feu tirés sont en forte hausse, de l’ordre de 30%. «Mais quand on prend un certain recul et qu’on regarde ce qui se passe ailleurs au Canada et dans certaines grandes villes états-uniennes, on réalise que Montréal demeure une ville sécuritaire», analyse-t-il. 

Quant au manque de données facilement accessibles pointé par certains observateurs, le SPVM s’en défend. «On sait qu’on peut faire mieux au niveau de la communication des statistiques, explique le porte-parole de la police montréalaise. On regarde ce qui se passe du côté de Toronto mais c’est surtout un enjeu technologique pour le SPVM.»

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D’où vient cette violence? 

Il y a donc bel et bien une augmentation de la violence et du sentiment d’insécurité dans la population. D'où vient le problème alors? 

Illustration Kevin Massé
Illustration Kevin Massé

«Le confinement a déplacé les problèmes de violence, souligne l’inspecteur Shane. Quand les bars, les restaurants, tout le nightlife a été fermé, tout à coup, les gangs de rue et les groupes criminels se sont croisés ailleurs que dans les centres-villes par exemple. La violence par armes à feu s’est alors déplacée vers des lieux plutôt résidentiels.» 

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Des coups de feu ont blessé un homme dans une zone résidentielle de Villeray en décembre 2020.
Des coups de feu ont blessé un homme dans une zone résidentielle de Villeray en décembre 2020. Pascal Girard/AGENCE QMI

Pour le SPVM, il y aurait aussi plus d’armes en circulation, «même s’il est difficile de le prouver, statistiques à l’appui». Ce que la police constate sur le terrain, c’est une banalisation et une plus grande accessibilité des armes à feu.  

La faute aussi à certains gangs de rue qui n’hésitent plus à «se pratiquer» dans les parcs le soir et à mettre leur arsenal en valeur sur les réseaux sociaux, observe Francis Langlois, membre associé de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand et spécialiste des politiques liées aux armes à feu. 

«C’est un phénomène qu’on observe de plus en plus dans Montréal-Nord notamment. Le matin on retrouve des douilles dans les parcs ou aux abords du fleuve, affirme le chercheur. Sur les réseaux sociaux, certains jeunes n’ont pas peur de montrer qu’ils possèdent des armes.» 

Conséquence : les gens ont l’impression que la violence les guette au coin de la rue.  

«Ce qui est sûr par contre, c’est qu’il y a de nombreuses familles qui ne se sentent plus en sécurité car elles entendent des coups de feu la nuit, elles n’arrivent pas à dormir et craignent pour leurs enfants», remarque Nargess Mustapha, cofondatrice de l’organisme communautaire Hoodstock, qui lutte contre les inégalités systémiques dans Montréal-Nord.  

Courtoisie Nargess Mustapha
Courtoisie Nargess Mustapha

Les politiciens en parlent beaucoup 

La dernière campagne électorale municipale ne serait pas non plus étrangère à ce climat anxiogène. Pour Ted Rutland, «si on dit sans cesse que la ville n’est pas sécuritaire, que nous sommes en danger, c’est clair que les gens vont commencer à croire que c’est vrai».  

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Valérie Plante s'est fait réélire comme mairesse en promettant de bonifier de 100$ millions $ sur 4 ans l'enveloppe en sécurité publique et d'ajouter des policiers dans les rues. Un revirement de situation, alors que les militants du parti avaient voté en faveur d'un définancement et d'un désarmement de la police au printemps dernier. 

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«Je ne pense pas que plus de police, plus de surveillance, donc plus de profilage, soit la solution. La répression ne va pas arranger la situation. Certaines familles vont se sentir plus en sécurité mais le résultat c’est que ce sont encore des jeunes sans histoire qui vont se faire profiler», explique Nargess Mustapha. Pour elle, il faut plutôt se demander : comment se fait-il qu’en 2021, des jeunes parfois mineurs arrivent à mettre la main sur des armes? Pourquoi est-ce aussi facile? Qui fait descendre des armes dans nos quartiers?» 

De son côté, le SPVM, qui «refuse de faire de la politique», préfère alerter les élus sur le fait que la police seule ne peut pas venir à bout de ce phénomène sociétal, mais que sa présence est nécessaire, surtout à court terme.  

Deux hommes ont été atteints par des projectiles d'armes à feu à Montréal-Nord un soir de juin 2021.
Deux hommes ont été atteints par des projectiles d'armes à feu à Montréal-Nord un soir de juin 2021. Photo Agence QMI, Thierry Laforce

Ajouter des policiers serait donc la solution ? «On n’a jamais assez d’effectif pour remplir les mandats qui sont confiés à la police de nos jours, résume le porte-parole du SPVM. On fait le maximum avec ce qu’on a. On optimise nos actions.» 

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Le SPVM en profite pour s’armer massivement 

D’ailleurs, des armes, il y en aurait de plus en plus dans les mains de jeunes délinquants. Mais pas que. 

En 2020, le SPVM a acheté six fois plus d'armes qu'en 2019, et vingt fois plus qu'en 2010. Le nombre de munitions achetées a également triplé durant cette période, selon des données compilées par Ted Rutland, pour qui ce n’est pas un hasard.   

«Quand la légitimité des policiers est remise en question, surtout par des manifestations antiracistes ou contre la violence policière, historiquement la police répond en mettant de l’attention sur certaines formes de crimes qui a tendance à montrer au public qu’on a vraiment besoin d’eux», explique le professeur. Selon lui, les policiers auraient donc tout intérêt à diffuser davantage d’informations sur la violence par armes à feu, ce qui contribuerait à faire augmenter leur nombre et leur importance aux yeux du public.  

Une accusation que David Shane balaie d’un revers de main. «C’est un «non» catégorique, on ne fait pas dans ce genre d’approches au SPVM! Si on pouvait venir à bout de cette violence par armes à feu, on le ferait immédiatement. Il ne faut pas voir la police comme un compétiteur au monde communautaire. Ça prend les deux pour venir à bout des violences par armes à feu.»  

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