Laissés pour compte : voici comment la pandémie a empiré la violence à Montréal-Nord
Gabriel Ouimet
Les coups de feu ne sont pas un phénomène nouveau à Montréal-Nord, mais la pandémie a contribué à leur multiplication en empirant les problèmes auxquels faisaient déjà face les gens du quartier, selon les jeunes et les intervenants rencontrés.
Assis à la table d’un grand local vide de Café-Jeunesse Multiculturel situé à Montréal-Nord, Javier demande l’anonymat avant de témoigner de ce qui se passe dans le quartier. Le jeune résident dans la fin vingtaine a commis des erreurs de jeunesse qui lui ont valu un casier judiciaire.
Né dans le secteur et suivi par les intervenants de rue depuis sa préadolescence, il est fier que sa vie soit maintenant revenue sur les rails.
Il tient à exposer les difficultés auxquels les jeunes du quartier sont confrontés puisque la pandémie n’a rien créé, dit-il. Elle a simplement servi de carburant à leurs problèmes.
«Les jeunes ici, ils s’emmerdent et ils ont faim. Ce n’est pas nouveau, mais avec la pandémie c’est encore pire. Il n’y a rien à faire pour l’oublier. En plus, tu vas sur les réseaux sociaux, tu vois les gars avec des bijoux qui s’affichent, pendant que toi et tes parents vous êtes brokes... tout te ramène à ça», explique-t-il.
Un climat tendu
Les pertes d’emploi qui amplifient les problèmes financiers, les difficultés à l’école accentuées par les cours à distance et peu d’occasions de socialiser : la pandémie a fait grimper la pression dans le quartier.
«L’étau se resserre, les idées noires commencent tranquillement à se faire un chemin», illustre Javier.
C’est dans ce climat qu’ont pris forme certains incidents violents des derniers mois.
Parmi les 12 homicides survenus sur le territoire du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en 2021, quatre ont eu lieu dans l’arrondissement de Montréal-Nord selon le plus récent décompte du Journal de Montréal.
Le plus récent est survenu mardi passé, alors qu’un homme de 43 ans à succombé à ses blessures. Trois fusillades ont également éclaté en l’espace de 20 minutes et en plein jour dans le quartier le 20 juin dernier.
Manque d’options et de ressources
Quand on le questionne sur les causes de ces événements, le travailleur de rue Roberson Berlus revient toujours à la même chose : tout est une question d’options et de choix.
«Ces jeunes-là ne sont pas dangereux de nature, ils sont le résultat d’un laisser pour compte. On est dans un quartier où il y a très peu d’options pour eux. Même le sport est limité», dit-il.
Ce sentiment de «laissé pour compte» s’est aggravé pendant la pandémie parce que les jeunes étaient plus difficiles à rejoindre et que le peu d’options qui se présentaient à eux étaient encore réduites, poursuit-il.
«On ne les voyait plus dehors, le filet de sécurité qu’on leur offrait pour ventiler et se défouler n’était plus là», explique-t-il.
Laissés à eux-mêmes, parfois influencés par des proches, certains jeunes auraient commencé à adopter des comportements préoccupants.
«Ils se regroupent à plusieurs dans les blocs d’appartements. On vient une première fois : ils chillent. Quand on revient ensuite, ça fume du pot dans la cage d’escalier. Certains voient que ça peut commencer à être intéressant de vendre», dit-il.
Se prendre le bras dans l’engrenage
Vendre ou cacher de l’équipement volé pour un vieil ami, participer à une fraude... les exemples cités par Javier sont nombreux pour illustrer des faux pas qui risquent de coûter cher.
«Juste le fait d’être vu avec quelqu’un connu de la police augmente tes chances d’être arrêté», dit-il.
C’est ici que les jeunes risquent de se prendre le bras dans l’engrenage, explique Roberson Berlus.
«Dès qu’un jeune a un casier judiciaire, ses options diminuent encore plus. Donc, la prochaine fois qu’un choix s’offre à eux, ils sont déjà désabusés et se disent qu’ils n’ont rien à perdre» explique-t-il.
«On est toujours sous la loupe»
La perception du quartier et l’image véhiculée par les médias, la police et les élus au sein de la population participent elles aussi à ce que certains sentent qu’ils n’ont rien à perdre, déplore Javier.
«La narratif ne change jamais : les jeunes de Montréal-Nord sont violents. Ils sont dans des gangs. C’est ce qu’on voit partout... on a l’impression d’être constamment sous une loupe avant même de faire une connerie», explique-t-il.
Cette pression constante déforme l’image du quartier et a plusieurs impacts nuisibles sur ses jeunes résidents, dénonce Slim Hammami, coordonnateur du Café-Jeunesse Multiculturel.
«À force d’entendre que le quartier est violent, que les gens ne sont pas éduqués et que des balles sifflent toujours, les jeunes finissent par y croire. Ils perdent confiance en eux. C’est plus facile de faire des mauvais choix, soutient-il. Il faut arrêter de démoniser le quartier. La violence extrême, c’est le fruit d’une infime minorité.»