«À boutte de toute sauf le vino»: ce que nous dit la culture des «wine moms» sur l’alcoolisme au féminin
Sarah-Florence Benjamin
«C’est vin-dredi !», «Il est VIN heures quelque part», «Mommy juice»: si ces slogans apposés sur des t-shirts ou des tasses font rigoler (ou grincer des dents), ils peuvent aussi contribuer à banaliser une relation potentiellement malsaine avec l’alcool. Alors que de plus en plus d’études confirment les dangers de la consommation d’alcool, même en petite quantité, est-ce toujours aussi drôle d’être une wine mom?
Le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’ont martelé en début d’année: il n’existerait pas de consommation sécuritaire d’alcool. Même en petites quantités, ses effets négatifs sur la santé sont bien réels.
La consommation d’alcool est pourtant encore souvent vue comme quelque chose de banal et la culture des wine moms en est un exemple frappant. Sur Facebook et Instagram, cette tendance, qui utilise l’humour, se place en opposition à l’image de la mère parfaite.
Le message véhiculé est simple: le rôle de mère est tellement éreintant et ingrat que la seule chose qui puisse permettre de passer à travers, c’est un (ou plusieurs) verre de vin.
Ce que cache l’humour
Même si l’image de la wine mom peut paraitre inoffensive, elle ne fait pas rire Eveline Dufour, fondatrice de la plateforme Sobre et branchée.
«Quand je vois ce genre de message, ce que ça m’inspire, c’est surtout de l’empathie, parce que les femmes à qui ça s’adresse sont clairement épuisées. L’humour, ça fait du bien et ça rassemble, mais ça nous fait oublier que l’alcool, c’est une drogue et qu’il peut y avoir des dérapages», regrette-t-elle.
Celle qui a elle-même déjà eu une relation trouble avec l’alcool s’inquiète de le voir ainsi présenter comme un remède au stress et à la fatigue
«Ça fait un mouvement d’entraînement et ça crée une confusion sur ce qui constitue une consommation problématique avec l’alcool ou non. Quand on a l’impression que tout le monde a aussi besoin de boire pour passer à travers de chaque journée, on ne se questionne pas sur notre consommation», avance-t-elle.
Elle comprend néanmoins l’attrait de la culture wine mom.
«On associe le fait de boire de l’alcool quand on est une femme à l’émancipation. Le vin c’est aussi une marque de réussite et de goût. Ça ne vient pas de nulle part, c’est le résultat d’années de marketing.»
L’alcool dans les zones grises
Avant d’arrêter de boire, Eveline Dufour a mis du temps à réaliser que sa consommation d’alcool était problématique.
«J’étais dans une zone grise, parce que j’avais l’impression que ça n’avait pas d’impact sur les autres sphères de ma vie», raconte-t-elle.
C’est le cas d’une bonne partie des femmes qui utilisent Sobre et branchée, affirme sa fondatrice.
«Souvent, leur entourage ne le sait pas qu’elles ont un problème d’alcool. Ce sont des femmes brillantes et accomplies. Elles boivent souvent seules à la maison ou quand les enfants sont couchés», décrit-elle.
Pour Eveline Dufour, ce n’est pas juste la quantité et la fréquence à laquelle on boit qui définissent notre relation à l’alcool. L’impression d’en avoir besoin pour fonctionner peut, par exemple, aussi indiquer qu’on a un problème de consommation.
Et c’est justement que sous-entendent les messages comme «jamais sans mon vino».
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Se questionner sans jugement
Bien qu’elle dénonce la culture de la wine mom, Eveline Dufour ne juge pas pour autant ses adeptes
«Il y a quelque chose de très déculpabilisant dans cette mode, parce que ces femmes se font mettre déjà beaucoup de pression», souligne-t-elle.
Les médias sociaux peuvent ajouter de la pression sur les femmes qui se comparent entre elles, ajoute l’entrepreneure qui n’est pas non plus en faveur que tout le monde arrête complètement de boire.
«Ces femmes-là [qui ont un problème d’alcool] n’ont pas besoin d’être jugées, mais d’écoute, de bienveillance, de la compassion et surtout, de pouvoir prendre une pause», poursuit-elle.
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La science est d’ailleurs claire: à long terme, l’alcool n’est d’ailleurs pas un moyen efficace pour gérer son stress.
Même s’il donne une impression de relaxation momentanée par ses effets dépresseurs (réduction du rythme cardiaque et de la pression artérielle, somnolence et concentration plus difficile), sa consommation régulière augmente l’anxiété, parce que le corps se met à compenser pour contrer ces effets.
Une même quantité d’alcool aura par ailleurs généralement plus d’effets sur les femmes que les hommes. Les femmes ont en moyenne plus de tissus adipeux et moins d’eau dans leur corps que les hommes, ce qui fait qu’elles absorbent l’alcool moins rapidement. Leur taux d’alcoolémie demeure ainsi plus élevé plus longtemps.