Publicité
L'article provient de 7 jours
Culture

À 98 ans, Janette Bertrand se confie sur sa relation amoureuse des 40 dernières années

Partager

Daniel Daignault

2023-11-08T13:00:00Z
Partager

Disons-le, c’est un privilège de s’entretenir avec Janette Bertrand! À 98 ans, sa voix n’a pas changé, la dame a encore beaucoup de choses à dire et surtout, elle est d’une grande lucidité et d’une grande pertinence. Discussion à bâtons rompus avec Janette.

• À lire aussi: Janette Bertrand revient sur le difficile deuil périnatal de ses jumelles

• À lire aussi: François Guy, le gendre de Janette Bertrand, est décédé

D'abord, notons la réédition ces jours-ci de la biographie de Janette, Ma vie en 3 actes, parue en 2004, dans laquelle elle se raconte. «C’est une édition avec des ajouts, des commentaires portant sur les différences entre aujourd’hui et mon époque. Il y a aussi deux préfaces: l’une de Guy A. Lepage et l’autre de Léa Clermont-Dion. J’aimerais ça que les jeunes lisent le livre pour voir d’où leurs parents viennent et pourquoi ils sont comme ils sont», dit-elle.      

Lors de notre conversation, elle revient souvent sur le fait que les personnes âgées doivent être actives et curieuses, et s’adonner à des activités. «Les gens me demandent pourquoi je travaille encore et ils me disent que je n’en ai pas besoin. Je leur réponds que j’en ai besoin pour moi. J’ai besoin de me passionner pour quelque chose. Je considère que ça me permet de garder ma vitalité. Je vais te dire: c’est très tentant de s’asseoir devant la télé et de rester là, parce qu’on est fatigué. Mais si on ne lutte pas contre ça, on devient un légume. Regarder la télé, c’est passif: on n’est pas forcé de penser à quelque chose.» 

Publicité

Du même souffle, elle ajoute: «Pourquoi le projet Écrire sa vie a-t-il eu tant de succès? On est rendus à plus de 2000 personnes qui continuent d’envoyer leur biographie. Et elles disent toutes qu’elles n’ont pas vu passer la pandémie parce qu’elles travaillaient à leur livre. On a besoin d’avoir quelque chose qui nous occupe.»      

Parmi les petits bonheurs de Janette, il y a bien sûr l’écriture. D’ailleurs, elle a presque terminé la rédaction de son prochain livre. «Ce sera mon dernier portant sur la vieillesse. Il s’appelle Quatrième acte, fin. Ce sera la suite de Ma vie en trois actes, dans laquelle je m’attarde aux 20 dernières années de ma vie. Il va sortir l’année prochaine, dans l’année de mes 100 ans. Je suis très disciplinée: j’écris environ 90 minutes le matin et 90 minutes l’après-midi. Si j’en fais plus que ça, mes yeux se fatiguent, mais je travaille tous les jours.»      

Une vitalité exceptionnelle  

Outre l’écriture, elle cuisine toujours. «Récemment, j’ai reçu toute ma gang à la campagne, la famille. J’ai préparé des sauces et j’ai fait les desserts. Je suis très occupée. Et je ne suis pas plus fatiguée en étant occupée que je le serais si je ne l’étais pas. C’est sûr que je me fatigue plus vite. Je sais quand il faut que j’aille m’asseoir. Je ne suis pas jeune, mais je profite de la vie. Je trouve ça idiot de ne pas profiter des plaisirs de la vie alors que je vais mourir.» Reste qu’elle fait preuve d’une vitalité peu commune, et son message est clair: elle veut inciter les personnes âgées à être actives, à embrasser toutes sortes d’activités, y compris le travail. 

Publicité

«J’entends souvent des hommes dire: «Ma fille ne veut pas que je travaille, elle veut que je me repose.» Lâchez-les, les parents! Le travail, c’est de la reconnaissance. Et même si tu reçois ta pension de vieillesse, rapporter de l’argent, c’est bon pour le moral. Mes filles, Dominique et Isabelle, qui ont maintenant 74 et 72 ans, sont impliquées dans toutes sortes de choses. Quant à mon fils, Martin, il était retraité, mais il a décidé de retourner au travail parce qu’il s’ennuyait trop. Il avait besoin d’être dans le monde, de participer à la vie! Comme moi. Il y a plein de personnes âgées dont on ne parle jamais parce qu’on pense qu’elles sont toutes gagas! Mais il y a beaucoup de gens qui vivent vieux et heureux. C’est ce que j’ai voulu démontrer avec le projet Laissez-vous inspirer. Il faut lire les témoignages des gens et voir à quel point ils sont actifs. Si tu sens que tu veux transmettre des choses que tu as apprises dans ta vie, c’est le bon endroit pour le faire. Aussi, en ce moment, je remarque une chose extraordinaire... Avant, quand tu entrais dans une épicerie ou une quincaillerie, c’était tous des petits jeunes qui étaient là; et maintenant, quand tu entres dans ces commerces, tu constates que ce sont tous des vieux qui sont là et qui travaillent. J’en suis tellement contente! Je dis bravo! Ils ont du temps, ils sont gentils, ils veulent jaser et ils veulent aider. C’est bien mieux que de se faire poussailler! C’est le fun de travailler quand tu fais quelque chose que tu aimes. Il faut avoir un but: se lever chaque matin en se disant qu’on a une journée à remplir.» 

Publicité

C’est bon pour le moral

Sur le site de la Fondation Institut de gériatrie de Montréal, on peut lire des témoignages inspirants d’aînés, dans le cadre du projet Laissez-vous inspirer, qui sont la preuve, écrit Janette, qu’on peut vivre vieux et heureux. Et en étant actifs. Tous les détails sur figm.ca. Dans une conférence qu’elle donnait au Salon des aînés de Saint-Jérôme, il y a quelques semaines, Janette confiait aux quelque 500 personnes venues l’écouter: «Mon père aimait le monde et il aimait ça parler avec les personnes qu’il rencontrait. Il avait 80 ans. Un jour, mon frère lui a dit: «Papa, reposez-vous donc!» Et mon père, qui sacrait comme tous les hommes de cet âge-là, lui a répondu: «Crisse, je vais me reposer toute l’éternité!» Finalement, mon frère a eu le dessus, mon père a pris sa retraite et, en l’espace de cinq ans, il est devenu «un vieux». Je l’ai vu: parce qu’il ne voyait plus personne et qu’il ne se sentait plus utile ni indispensable, il a pris une descente psychologique et physique. Ma belle-mère m’a dit un jour: «Ton père a vieilli de 100 ans depuis qu’il a pris sa retraite.» Alors moi, j’ai toujours eu peur de la retraite. Ce n’est pas normal qu’un homme et une femme arrêtent tout et s’assoient devant la télévision toute la journée. On a besoin d’être valorisés et reconnus.» 

Mobilisée pour les aînés

Janette a bien raison lorsqu’elle raconte à quel point on a réalisé, durant la pandémie, que les aînés avaient été malmenés. «On nous a montré des vieux qui se mouraient, qui se suicidaient et qui étaient seuls dans leur CHSLD. D’où ça vient, cette peur de vieillir? C’est qu’on ne veut pas finir comme ces gens-là. On ne veut pas finir dans la solitude, délaissé de tout le monde. Alors on a besoin de modèles, et il faut absolument que les gens réalisent qu’à 70 ans, par exemple, ils ne sont pas finis! Il leur reste encore 20 ans à vivre! On nous a donné la longévité et on ne sait pas quoi en faire. On attend la mort chacun dans nos petites chambres.» 

Publicité

L’amour doux et tendre

Heureuse et valorisée, Janette l’est résolument. Elle partage sa vie avec Donald Janson depuis 40 ans. Leur complicité et leur amour ne se démentent pas. «J’ai la chance d’avoir un homme qui a 20 ans de moins que moi. Ce n’est pas un petit vieux encore! dit-elle en riant. Juste le fait qu’on soit ensemble, on est bien. Un vieux couple, c’est ce qu’il y a de plus extraordinaire: on veille l’un sur l’autre, on prend soin l’un de l’autre et on se ménage. Et tous les jours, on se fait plaisir. Des petits plaisirs de rien! Par exemple, je sais que Donald aime telle sorte de biscuits, alors je lui propose qu’on en fasse ensemble. Ce sont des petites attentions qui ne coûtent pas cher. Écoute, moi j’aime les May West. Tous les 15 jours, Donald va faire un marché et il m’en achète une boîte. Donc, ça signifie qu’il a pensé à moi. Et je fais la même chose de mon côté. On se laisse aussi des petits mots sous l’oreiller. Mais tout ça, ça se cultive. C’est un jardin à cultiver, ça ne vient pas tout seul.» 

Il faut savoir que, lorsque ce couple est né, Janette ne l’a pas eue facile, rappelle-t-elle. «J’ai vu les gens me regarder. Au début, ils avaient honte de moi quand j’étais avec Donald. Il avait 38 ans, j’en avais 57. Ils devaient se dire: «Ils couchent ensemble. Elle couche encore, ouache!» Mais quelle chance! Il n’y a rien de plus beau au monde et de plus agréable qu’un vieux couple! Et je dois dire que c’est bien plus agréable maintenant qu’au début, parce qu’au début il y a eu des ajustements à faire. On venait de deux mondes différents. Mais là, on est vieux et on n’aime pas la chicane ni l’un ni l’autre. C’est doux et c’est tendre.» 

Publicité

Et la santé dans tout ça? Janette confie qu’elle fait de l’arthrose dans les mains. «Les deux index sont absolument insensibles. Quand j’écris, il me manque toujours une lettre. Je dois faire beaucoup de corrections. Et j’échappe tout. Mais je n’ai pas de grosse maladie mortelle. Quand je vais voir mon médecin, il me dit: «Ne tombez pas!» Parce qu’à mon âge, on ne peut plus m’endormir. Alors c’est très grave si jamais on tombe.» 

Un terrible accident

Ce qui amène Janette à parler du compagnon de vie de sa fille Isabelle, décédé subitement en mai dernier. «François ne voulait pas tomber. Il s’en allait reconduire un couple d’amis à leur chalet. Isabelle le suivait de quelques pas dans l’escalier, et il s’est mis à débouler les marches. C’est terrible parce que ç’a été si soudain. J’ai dit à Isabelle que c’est dans notre cœur qu’il est, mais c’est dur pour elle. Elle a beaucoup de difficulté parce que c’était un couple très fusionnel. Ils se sont rencontrés à peu près en même temps que Donald et moi.» Janette Bertrand, qui a si longtemps milité pour l’égalité entre les femmes et les hommes, se dit heureuse de constater que des changements sont survenus et que les hommes d’aujourd’hui sont différents. «Je m’aperçois, en regardant mes petits-enfants — le plus vieux, Olivier, a 50 ans, je n’en reviens pas! —, que ce ne sont plus des hommes comme avant. Ils ont changé, ils sont devenus des pères de famille, des vrais pères. Il y a quelques années, j’ai dit à mon petit-fils, qui a deux enfants et que je regardais aller, qu’il était une vraie mère. Et il m’a répondu: “Non, je ne suis pas une mère, je suis un vrai père.” La nouvelle génération s’implique avec les enfants. Donc, c’est un changement énorme. Et ils trouvent du plaisir à être pères. Quand les hommes vont trouver du plaisir à vivre à égalité avec une femme, ça va faire un grand bond en avant. Donc, les 60 ans que j’ai passés à me battre pour l’égalité entre les hommes et les femmes, ça a marché!» Janette célébrera son 99e anniversaire de naissance le 25 mars prochain, et on lui souhaite évidemment de devenir centenaire. 

Publicité

Pas croyante, mais lucide

Mais cela dit, elle confie qu’elle n’a pas peur de l’inévitable. «Je n’ai pas peur de la mort. J’ai beaucoup vécu et je m’attends à mourir. Il n’y a pas longtemps, je me suis étouffée avec un morceau de pain et j’ai failli mourir. Chaque fois, je me dis que ça va être là, mais ce n’est jamais ça, et c’est correct. J’en parle avec mes enfants. Au début, ils n’aimaient pas ça, mais c’est important pour moi. Quand quelqu’un te dit: “Tu ne mourras pas”, c’est gentil, mais ce n’est pas vrai. Et comme je ne suis pas croyante, je pense qu’il faut profiter de la vie avant de mourir.»      

Une dernière question pour Janette avant de la laisser retourner à l’écriture... Qu’aimerait-elle que les gens retiennent d’elle? «Ah! mon Dieu! Tu sais, je suis pas mal humble. J’ai fait un p’tit boutte. Peut-être que j’ai ajouté quelques petites affaires, mais il reste tant à faire. Ce que j’ai fait dans la vie, ç’a surtout été de me guérir. C’était important pour moi. J’en suis arrivée à être sereine et de bien bonne humeur, et à aimer la vie, alors que j’ai failli la perdre à 20 ans parce que je souffrais de tuberculose. Mes filles me disent que je suis tellement ambitieuse et qu’il faut toujours que je fasse quelque chose. Je leur réponds qu’elles n’ont pas eu le passé que j’ai eu. On ne peut pas comparer nos vies. Elles ont été élevées dans l’amour, elles ne sentent donc pas comme moi le désir d’être aimées», ajoute celle qui souligne avec fierté qu’elle a sept arrière-petits-enfants. 

Stevens LeBlanc/JOURNAL DE QUEBE
Stevens LeBlanc/JOURNAL DE QUEBE

En conclusion, je lui rappelle qu’elle ne doit pas sous-estimer l’impact qu’elle a eu dans la société, et tout le bonheur et le plaisir qu’elle a procurés aux gens tant par ses écrits, ses œuvres télévisuelles et bien sûr ses nombreux livres. Janette répond: «Peut-être, oui. C’est très valorisant en ce moment. Tout le monde me trouve fine parce que j’achève, dit-elle en éclatant de rire. On ne me trouvait pas aussi fine il y a 20 ans; j’avais bien des ennemis.» 

Son livre est en vente. Pour plus de détails sur Écrire sa vie, le projet qu’elle a initié pendant la pandémie, allez à centreavantage.ca.

• À lire aussi: Janette Bertrand obligée de mettre son prochain livre en veilleuse

À VOIR AUSSI : 33 couples de vedettes québécoises qui nous font croire à l’amour:

Publicité
Publicité