À 78 ans, Louise Turcot s’estime chanceuse
Michèle Lemieux
À 78 ans, elle incarne avec élégance ce qu’il est convenu d’appeler le troisième âge. Mieux encore, elle déconstruit les préjugés qui entourent cette période de la vie. Alors qu’elle nous offre une belle performance dans le film Notre Dame de Moncton, nous avons discuté de ce personnage bienveillant.
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Madame Turcot, quel beau personnage on vous a confié dans ce film!
Quand j’ai lu le scénario, j’étais très fière: il y avait quelque chose de beau à faire avec cette femme, qui est bienveillante et très simple. Au lieu d’appeler la police, elle pose un geste d’empathie envers quelqu’un qui en a besoin. Ça m’a beaucoup plu. Ces deux femmes, de générations différentes, qui en sont à un moment difficile de leur vie, vont s’entraider au lieu de s’opposer. Nous voulions faire de mon personnage une femme d’action et non une victime. Quand on vieillit, on est un peu plus vulnérable. On gagne en sensibilité, on est plus fragile. Pourtant, Victorine va poser des gestes importants qui changeront le cours de sa vie, mais aussi celui de quelqu’un d’autre.
On a l’audace de montrer autre chose que la jeunesse à l’écran.
Oui, c’est intéressant que la scénariste se soit intéressée à un personnage plus âgé. J’en suis ravie. Toute une génération de femmes est en train d’envahir, pour le plus grand bien de tous, le milieu du cinéma, que ce soit des réalisatrices, scénaristes, etc. On montre plus de gens plus âgés. J’apprécie d’avoir un beau rôle à mon âge. Je me suis dit que la vie me faisait un cadeau. Des femmes de 50 ans et plus m’ont dit à quel point elles n’existent plus aux yeux des gens. Quand elles prennent la parole, personne ne les écoute. Elles ne peuvent plus draguer: les hommes de leur âge cherchent des femmes plus jeunes. Pour les représenter, il faut des scénaristes qui s’intéressent à ce groupe d’âge et aussi admettre que le stéréotype de la grand-mère a changé.
Vous en êtes la preuve puisque vous êtes vous-même grand-maman.
Oui, je suis huit fois grand-mère. On m’a approchée un jour pour jouer une grand-mère. Mon agente a envoyé mes photos; on nous a dit que ce n’était pas du tout ce qu’on cherchait! Aujourd’hui, une grand-mère, c’est une fille de 50 ans botoxée, les cheveux teints, et qui s’habille comme une jeune femme. J’ai 78 ans, alors je n’ai plus l’âge de jouer les grands-mères, tandis qu’un homme, lui, il est bedonnant, il a les cheveux gris, il porte des lunettes, et c’est un séducteur... et un homme d’affaires incroyable! (rires)
Vous avez réussi à avancer en âge telle que vous êtes malgré ce métier exigeant envers les femmes.
Oui, j’ai été vraiment chanceuse: j’ai traversé tout cela. C’est le théâtre qui m’a permis de franchir ces étapes, car si on est juste à la télé, il y a des stéréotypes, des idées préconçues sur les femmes. Au théâtre, tu peux jouer une vieille de 80 ans, et le lendemain, une avocate. La perception au théâtre est complètement différente.
Quels exemples de femmes ont été partie prenante de ce métier à tout âge?
Andrée Lachapelle a été mon modèle. Quand elle a eu 50 ans et qu’elle a commencé à abandonner certains rôles, c’est moi qui les ai joués. Nous avions le même genre: très féminines, mais avec un franc-parler.
Vous avez quand même un parcours unique dans ce métier.
C’est vrai. J’ai un trajet qui ne ressemble à celui de personne. J’ai débuté dans ce métier à 20 ans. Je suis heureuse d’avoir eu de si beaux projets et d’avoir fait tant de choses.
Alors qu’on reprendra Deux femmes en or au théâtre, faut-il rappeler que vous aviez fait scandale dans le film à l’époque?
Ça avait été à la fois un scandale et le plus gros succès du cinéma québécois. Pendant des années, c’est resté le film le plus vu. Des millions de spectateurs l’ont vu, et de plusieurs générations. Un jour, à une station-service, un adolescent me fixait, puis il m’a dit: «J’ai vu votre film...» Je lui ai répondu que je le trouvais bon de me reconnaître... (rires) Son père l’avait vu, peut-être même son grand-père... Quand ma fille, Geneviève, était en cinéma au cégep, elle a étudié Deux femmes en or. Elle me disait que la phrase tirée du film que les étudiants s’amusaient à dire, c’était: «C’est-tu plate, le mercredi... le laitier passe pas!» (rires)
Et vos parents, l’avaient-ils vu?
Oui. Mon père était très avant-gardiste, mais pour ma mère, c’était différent. Tout ce que je faisais leur plaisait. Ils voulaient que je réussisse.
Dans Notre Dame de Moncton, vous avez pour époux votre propre mari, Gilles Renaud.
Oui. On a travaillé quelques fois ensemble avant de tomber en amour. On faisait bien des blagues, il n’arrêtait pas de me draguer. On a joué au théâtre et on est tombés en amour. Depuis, on ne travaille pas très souvent ensemble, alors nous étions heureux de le faire pour ce film.
Comment fait-on pour réussir 30 ans d’union?
Lorsque j’étais plus jeune, si un gars ne faisait pas mon affaire, je le quittais. À un certain âge, on aime certaines choses; on en apprécie moins, mais on pèse le pour et le contre et on tente d’améliorer ce qu’on aime encore plus.
Notre Dame de Moncton, réalisé par Denise Bouchard, est en salle. On peut revoir la saison 2 de Doute raisonnable sur Tou.tv.
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