À 65 ans, Vincent Graton n’a pas l’intention de prendre sa retraite
Daniel Daignault
Rencontrer Vincent Graton, c’est avoir droit à une conversation passionnante, qu’on voudrait poursuivre durant des heures. Tous les sujets sont abordés, et le comédien partage avec générosité ses réflexions et sa passion!
• À lire aussi: France Beaudoin revient sur la participation de son fils à Révolution
Le prétexte de cette rencontre avec Vincent Graton était sa participation au film Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois, qui met en vedette Alexandre Goyette et Mylène Mackay dans les rôles du frère Marie-Victorin et de Marcelle Gauvreau, son étudiante. Il ne mentait pas lorsqu'il m'a dit, il y a un peu plus d'un an, qu'il avait obtenu un petit rôle dans ce film, celui du médecin Joseph Gauvreau, le père de Marcelle.
Il ne fait que deux ou trois apparitions, mais comme toujours, il a su donner vie à son personnage lors des quelques jours de tournage auxquels il a participé. «Je suis allé faire ces scènes avec plaisir! Je trouve qu'il y a quelque chose de très beau dans ce film par rapport aux femmes, par rapport à l'histoire du Québec, et aussi par rapport à la beauté du monde et de la nature. Je trouve que ça s'inscrit dans la tendance de prendre soin de la Terre, confie Vincent. Souvent, on pense à l'époque où l'action se déroule sans penser à la vie sensuelle et sexuelle des gens, alors qu'ils étaient habités par plein de choses. Je trouve que le personnage de Marcelle fait partie de ces femmes qui on préparé la Révolution tranquille. Elle a pris sa place comme scientifique en devenant botaniste, et je trouve ça vraiment magnifique.»
De plus, Vincent a vécu une expérience hors du commun à titre d'animateur et d'interviewur, ces derniers mois. L'aventure l'a d'ailleurs laissé un peu troublé. «J'arrive d'un grand périple autour du monde pour la série Climat d'urgent, qu'on peut voir sur TV5. J'y ai découvert les conséquences des changements climatiques et c'est très inquiétant. Nous étions une toute petite équipe de documentaristes de terrain. Nous sommes allés au Japon, au Kenya, au Pérou, en Alaska, au Bengladesh, et ç'a vraiment été rock'n'roll. On a vécu toutes sortes de situations, des choses prévues et d'autres qui ne l'étaient pas, alors on a dû gérer ça. Quand on est arrivés au Sénégal, le chef de l'opposition au pouvoir venait d'être arrêté et lors de notre première journée au Dakar, il y a eu 16 morts! On se promenait entre les barrages de pneus en feu... On a vécu toutes sortes d'événements de ce type, mais heureusement, j'étais avec des gars d'expérience qui sont habitués à faire ce genre de reportage. Je suis revenu bouleversé, parce que revenu bouleversé, parce que les constats sont implacables. Il y a toujours eu des épisodes de feux de forêts et d’érosion, mais là, l’intensité et la fréquence auxquelles ça se produit dépassent tout ce qu’on connaît. En Israël, on a connu des journées de 46-47 °C, et à Athènes, des sites archéologiques étaient fermés parce qu’il faisait trop chaud pour les touristes.»
Situations inquiétantes
À chaque escale, Vincent a pu constater comment les gens réagissent à ces changements inquiétants. «On était dans des régions du monde où les gens
sont en état de survie, souligne le comédien. Au Bangladesh, on parle de 5 millions de personnes déplacées et de 40 millions qui risquent de l’être. Quand tu arrives à Dhaka, la capitale, tu entres dans les bidonvilles et c’est vraiment cinglé, c’est surchauffé. Ils n’ont pas d’eau, ils sont tassés, et en même temps, il y a un esprit de solidarité incroyable. C’est sûr que c’est rough.» Le but de cette série était de constater l’impact des changements climatiques sur les populations à travers le monde, et ces épisodes ne laisseront personne indifférent. «Le constat n’est pas le fun du tout, c’est difficile à tous les niveaux. On s’attarde aussi aux solutions, à ce qu’il y a à faire et à tout ce que font les communautés, par exemple au Kenya, pour sauver les éléphants et les zèbres, et aux Maldives, pour contrer l’érosion. Il y a des actions communautaires incroyables qui se font, mais il n’en demeure pas moins que ça va prendre un courage politique et de grandes solutions collectives», ajoute-t-il.
Le sujet préoccupe énormément de gens, n’en déplaise aux climatosceptiques qui se font de plus en plus discrets. «Je suis papa et grand-papa, ma fille attend sa deuxième petite, et c’est sûr que ça me préoccupe énormément. On devrait tous avoir une préoccupation viscérale pour la suite du monde. On est revenus de tournage avec des images dures. Je peux dire que ç’a été très marquant comme aventure. Travailler sur cette série a donné bien du sens au métier que je fais.»
L’âge imaginaire
Maintenant que le tournage de cette série documentaire est terminé, Vincent confie avoir un nouveau projet télé, dans lequel il défendra un rôle... qu’il ne peut pas dévoiler pour l’instant. «Tu vas comprendre pourquoi quand tu vas le savoir, mais je ne peux pas en parler», dit-il en riant, ajoutant qu’il sera en tournage au cours de l’été. À la blague, j’ai ensuite demandé s’il avait reçu son premier chèque du gouvernement, puisqu’il a célébré son 65e anniversaire de naissance en mai dernier. «Je suis rendu membre doyen de l’Union des artistes, s’exclame-t-il. Je suis allé voir La traversée du siècle de Michel Tremblay et je suis revenu en métro. Un de mes chums m’a dit: “Ben oui, c’est gratis maintenant le métro, pour toi!” J’ai répondu: “Quoi? Ah ben!”»
Par contre, il n’est absolument pas question de retraite. «Moi, l’âge, je n’y accorde pas d’importance. Je travaille avec des gens de tous les âges, souligne-t-il. Ça me fait rire quand je me fais dire: “Monsieur Graton, vous avez connu Robert Gravel?” Je ne me sens pas comme si j’avais cet âge-là, et plus les affaires sont étranges, plus je vais y aller. En fait, j’ai besoin d’explorer des territoires inconnus, ça me stimule. Mais si on parle de mon âge, je peux te dire que le tournage de Climat d’urgence était quelque chose sur le plan physique! En fait, plus je vieillis et plus j’aime me tenir avec des personnes de tous les âges, des gens allumés. Mes enfants me font découvrir toutes sortes de musiques et j’aime ça. Ma fille Delphine va avoir 31 ans, mon fils Emmanuel en a 28, ma fille Juliette va avoir 20 ans, et mon fils Théo a 17 ans.» Dans sa façon de parler de ses enfants, on sent tout l’amour qu’il leur porte. C’est un père fier, qui s’est toujours fait un devoir d’exprimer ses émotions et de s’impliquer socialement. «Ce n’est pas une question d’âge, parce qu’il y a des personnes plus jeunes que moi qui sont “vieilles”. Tout est une question d’attitude et de curiosité. Je pense que c’est vraiment ça la clé: la curiosité et la capacité d’être totalement présent à ce qui se passe. J’étais dans un party récemment et je voyais France Castel... elle était extraordinaire! Et quand elle s’est mise à chanter, elle avait l’air d’avoir 40 ans! La beauté de vieillir, c’est que je commence à avoir un bagage. Ça fait maintenant 43 ans que j’ai fini le Conservatoire d’art dramatique. Quand tu vieillis, tu te demandes quel est le secret pour être un bon acteur ou un bon animateur. Et c’est d’être là, d’être bien présent quand tu fais quelque chose. Notre capacité d’être présent à l’autre est très importante.»
Une femme qui a toute son admiration
Évidemment, on ne peut rencontrer Vincent sans lui demander de dire un mot sur France Beaudoin, son épouse et compagne de vie. Et il ne se fait pas prier pour dire tout le bien qu’il pense d’elle. «Je dis souvent que ma blonde est une alpiniste. Quand elle a monté l’Everest par la voie numéro un, elle ne va pas recommencer, elle va essayer la voie numéro deux, la trois, la quatre. Ce n’est pas quelqu’un qui a peur d’emprunter les routes les moins fréquentées, et c’est comme ça dans tout: sa vie professionnelle, sa vie amoureuse et sa façon de gérer ses affaires. J’ai vu France gérer des choses très difficiles et elle aime les défis, elle est très tenace. Elle dit toujours qu’elle est bien entourée et c’est vrai, il y a beaucoup de beaux fous autour d’elle. Elle fait une première série dramatique (Veille sur moi), avec Guylaine Tremblay et Pascale Renaud-Hébert, et je la vois arriver le soir tellement heureuse et animée, elle tripe! On est comme ça tous les deux», dit-il.
En voyant Vincent s’animer en parlant de France, je lui lance: «Ne dit-on pas que derrière chaque grande femme, il y a un grand homme? Ou quelque chose
du genre!» Il rit. «Ça, tu iras lui demander! Je ne veux pas avoir la prétention de dire ça. J’ai beaucoup de respect et d’estime pour ce qu’elle accomplit.» Reste qu’au cours de sa longue carrière, Vincent a défendu plusieurs rôles marquants et vécu plusieurs expériences artistiques et humaines importantes.
À ce sujet, il mentionne: «Toute l’époque du théâtre expérimental, avec Robert Gravel et Jean-Pierre Ronfard, a été incroyable. J’ai joué pendant 15 ans dans L’auberge du chien noir et je n’avais pas nécessairement le plus grand défi, sauf que j’ai vécu une expérience de gang incroyable. Inoubliable. Mais ce que je viens de faire pour TV5, c’est la chose la plus significative que j’ai faite jusqu’à maintenant: j’ai eu l’impression de faire quelque chose d’utile.»
Le film Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles est présentement à l’affiche. Pour voir la série Climat d’urgence.