5 raisons pour lesquelles le Québec va rater sa cible de réduction de GES
Élizabeth Ménard
À moins d’un important revirement de situation, il est presque certain que le Québec ratera, de loin, sa cible de réduction de gaz à effet de serre (GES) pour 2030. La province s’est engagée à réduire, d'ici cette année-là, ses émissions de GES de 37,5% par rapport aux niveaux de 1990. Voici cinq raisons pour lesquelles elle n’y arrivera probablement pas.
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1) Le marché du carbone est un échec
Principal outil du Québec pour réduire ses émissions, le marché du carbone Québec-Californie est un échec total, selon plusieurs spécialistes.
«Le problème c'est que les gouvernements ont été très généreux dans leurs allocations gratuites et dans le nombre de droits d'émissions qu'ils ont donnés», explique le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.
«On a des surplus de droits d'émissions», dit-il. Et ceux-ci ne seront pas écoulés avant 2030, selon ses calculs.
Ce que ça signifie, c’est que le prix pour avoir le droit de polluer au Québec est encore très bas par rapport à ce qu’il devrait être pour faire changer les comportements et il le restera au moins jusqu’en 2030.
«Nos analyses indiquent que, non, [le marché du carbone] ne va pas faire son effet», conclut M. Pineau.
En 2030, le prix de la tonne de carbone aura monté à 170$, ce qui se traduira par une augmentation du prix à la pompe de 0,40$. Mais l’essence devrait avoir redescendu sous la barre des 2$ d’ici là, dès que la situation en Europe se sera stabilisée.
«On pourrait tout à fait imaginer qu'on ait [un prix à la pompe] un peu moins cher que ce qu'on a maintenant», mentionne le spécialiste.
«C'est loin de changer le monde. Et quand on regarde nos exigences climatiques, il faut changer le monde», dit-il.
Pour susciter un changement de comportement, le prix du carbone devrait plutôt être autour de 500$ la tonne, estime l’économiste François Delorme.
2) On a identifié seulement 51% des solutions
La mise à jour du Plan pour une économie verte du Québec, publiée à la fin du mois d’avril, identifie seulement 51% des actions nous permettant d’atteindre notre cible.
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Ça veut dire que, même si chacune des actions identifiée est pleinement efficace dans les temps prescrits, on n’atteint toujours pas notre cible de réduction de 37,5% des émissions de GES, de l’aveu même du gouvernement. La moitié du travail reste encore à faire, à moins de huit ans de notre heure de tombée.
Plusieurs groupes environnementaux ont dénoncé la situation.
«Le ministre Charette peut faire mieux mais refuse de prendre les moyens pour y arriver. On ne pense pas que le gouvernement devrait se satisfaire d’atteindre 50% des objectifs d’une cible climatique inadéquate fixée par le gouvernement libéral en 2015», a déclaré le directeur des relations gouvernementales d’Équiterre, Marc-André Viau.
3) Le Fonds d’électrification et de changements climatiques est mal géré
Au Québec, les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques et réduire les émissions de GES sont principalement financées par le Fonds d’électrification et de changements climatiques (FECC, anciennement «Fonds vert»).
Dans un rapport qui a fait grand bruit la semaine dernière, la Commissaire au développement durable Janique Lambert conclut que le FECC n’est pas géré de manière «efficace et efficiente».
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Elle déplore notamment que 80% des sommes allouées au FECC aillent à des mesures dont l’efficacité n’a pas été démontrée. Le programme ÉcoPerformance, qui vise à réduire les émissions de GES et à augmenter la performance énergétique des entreprises, est notamment pointé du doigt. Des fonds supplémentaires ont été alloués à ce programme tout en conservant la cible de 2020, qui n’a toujours pas été atteinte.
Les «lacunes risquent de compromettre la transition énergétique du Québec», a-t-elle déclaré.
Le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a rejeté ces conclusions, arguant que le rapport ne faisait pas état du travail qui a été fait dans la dernière année.
4) L’offre de véhicules électriques n’est pas suffisante
Le Québec compte 138 000 véhicules électriques (VE) ou hybrides rechargeables sur ses routes. Pour diminuer les émissions de GES attribuables au transport routier léger, le gouvernement veut atteindre 1,6 million de véhicules électriques d'ici 2030.
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Mais l’offre de VE n’est pas suffisante au Québec pour répondre à la demande, principalement parce que les exigences envers les constructeurs automobiles ne sont pas assez élevées.
Dans le but de remédier à cette lacune et d’atteindre sa cible, Québec haussera le pourcentage de crédits que doivent accumuler les constructeurs automobiles.
«Cela permettrait d'atteindre, à mi-chemin entre 2030 et 2035, la cible de réduction des émissions de GES de 37,5% par rapport à leur niveau de 1990 pour ce secteur des transports», écrit le cabinet du ministre Benoit Charette dans son communiqué officiel.
En d’autres mots, malgré des exigences plus élevées, la cible ne sera pas atteinte avant 2030.
Le transport routier léger est responsable de 21,8% des émissions totales du Québec, selon les dernières données disponibles.
5) Nos émissions de GES augmentent
Plutôt que de diminuer, nos émissions de GES ont augmenté de 1,5% en 2019 (dernières données disponibles), pour atteindre 84 millions de tonnes.
Ainsi, depuis 1990, les émissions du Québec n’ont baissé que de 2,7%, ce qui nous place bien loin de notre objectif de 37,5% d’ici 2030.
«C’est une marche colossale à franchir d’ici 2030. Je ne vous fais pas de cachettes», avait concédé le ministre Charette lors du dévoilement de ces données en décembre dernier. «On part de très, très, très loin.»
Dans un avis dévoilé par le Comité consultatif sur les changements climatiques le mois dernier, des experts mandatés par le gouvernement concluaient d’ailleurs que «la réponse du Québec n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique».
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Pour joindre Élizabeth Ménard: elizabeth.menard@quebecormedia.com