Sur le terrain : 10 surdoses de drogue mortelles chaque semaine au Québec
Andrea Lubeck
Plus de 10 Québécois sont morts chaque semaine d’une surdose d’opioïdes en 2020. À la grandeur du pays, c’est pire : on compte 17 décès de Canadiens liés à des surdoses chaque jour.
• À lire aussi: Le Portugal a décriminalisé toutes les drogues (et ça marche!)
• À lire aussi: Même les policiers pensent qu'il faut décriminaliser la possession de drogue
• À lire aussi: Certains partis promettent la décriminalisation de toutes les drogues
Le problème a carrément doublé au pays pendant la pandémie : les décès par intoxication apparemment liée aux opioïdes se chiffraient à 3830 au Canada en 2019, et ils sont passés à 6214 l'an dernier. Au Québec, on est passé de 414 intoxications mortelles à 547.
Ça, c’est sans compter toutes les autres histoires d’horreur que vivent ceux et celles qui ont un problème de dépendance, tout comme leurs proches.
On a demandé à des intervenants qui travaillent sur le terrain de brosser un portrait de la situation pour mieux la comprendre.
La drogue bloquée aux frontières
«La fermeture des frontières [liée à la pandémie] a empêché l’importation de plusieurs substances qui ne sont pas produites au Canada, comme la cocaïne ou le crack», explique Julie-Soleil Meeson de l’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ).
«Elle doit nous arriver de la Colombie, du Pérou ou de la Bolivie, et doit passer par le Mexique et parfois par les États-Unis, soit par bateau ou par avion. Mais quand la COVID est arrivée, tout le marché a presque totalement arrêté. Certains avaient des réserves, mais ils ont rapidement épuisé leur stock.»
Conséquence : les personnes dépendantes à ces substances ont dû trouver de nouvelles drogues pour obtenir un effet similaire. C’est ainsi qu’on a vu une montée de la consommation des méthamphétamines et des opioïdes superpuissants au Québec, soutient celle qui est aussi criminologue de formation.
• À lire aussi: Elles ont arrêté l'alcool pendant la pandémie
• À lire aussi: Lysandre Nadeau se confie sur comment son alcoolisme a affecté sa vie
Plus de fentanyl au Québec
«Le Québec avait beaucoup moins de cas de fentanyl avant la pandémie parce qu’il y avait un approvisionnement différent que celui des autres provinces. Mais là, le fentanyl est arrivé et ça augmente le risque de surdoses. Les marchés ont changé», résume Julie-Soleil Meeson.
Sur le terrain, on résume la dernière année et demie par un seul mot : détresse.
La détresse des personnes qui consomment de la drogue. La détresse des intervenants.
Consommer seul, c'est dangereux
L’isolement a chamboulé complètement les habitudes de consommation, avec, en prime, tout le lot de risques que ça engendre. Parce que changer de substance ou consommer seul alors que l’on consommait en groupe, c’est dangereux.
En plus des consommateurs de rue qui ne l’ont pas eu facile, les consommateurs récréatifs, une population généralement étudiante, âgée entre 18 et 25 ans, qui fréquente les festivals, ont aussi démontré de nombreux changements dans leurs habitudes, souligne Magali Bourdon, directrice générale du GRIP, un organisme en réduction des méfaits.
«Il y a eu une fermeture complète de leurs lieux de consommation: on s’est donc retrouvé d’un coup avec une population complètement isolée par rapport à sa consommation. Les jeunes n’avaient plus ce milieu sécurisant où consommer, auquel ils étaient habitués, et ça les a poussés à complètement changer leurs habitudes», explique-t-elle.
Les festivaliers qui fréquentent les événements comme Osheaga ou Île Soniq ont sans doute déjà aperçu le kiosque du GRIP. L’organisme distribue des équipements de consommation sécuritaires, donne des conseils et s’occupe des personnes qui filent un mauvais coton en partenariat avec les équipes médicales sur place. Un service mobile d’analyse des drogues sera également en service d’ici l’automne.
Quand le récréatif devient thérapeutique
Même si les services du GRIP n’ont pas été sollicités pendant environ un an, l’organisme a tout de même pu observer une plus grande prise de risques de la part des personnes auprès desquelles il intervient habituellement.
«Elles n’ont pas arrêté de consommer pendant un an et demi en attendant que les festivités reprennent, indique Magali Bourdon. Et le risque ne provient pas uniquement de la substance en elle-même, mais du fait que les personnes qui consommaient autrefois en groupe le font maintenant seules.»
Le contexte a aussi changé : plutôt que de consommer de façon récréative avec des amis, la consommation est désormais devenue thérapeutique, «pour lutter contre les effets négatifs de l’isolement et des difficultés en matière de santé mentale». «Ce changement-là va avoir un impact sur l’après-pandémie parce qu’il pourrait y avoir un maintien de la consommation isolée alors qu’elle n’était pas présente avant», soutient l’intervenante.
Les ressources réorganisées
La pandémie n'a pas été facile non plus pour les intervenants, qui ont vécu une complète désorganisation – et réorganisation – de leur travail.
Tous les repères des personnes aux prises avec une dépendance se sont volatilisés dès mars 2020 avec la fermeture de la majorité des ressources.
Depuis, les services ont repris graduellement, mais des restrictions demeurent et ce n’est pas toute la population consommatrice qui est retournée les chercher.
«Les intervenants doivent créer de nouveaux liens et c’est difficile avec des masques et à une distance de deux mètres. Ç’a porté un dur coup sur la santé mentale des intervenants aussi, et les services qui leur sont habituellement destinés ne sont pas revenus non plus», indique Julie-Soleil Meeson.
Consommer en une journée la consommation d’un mois
Maintenant que les mesures sanitaires ont été allégées, que les rassemblements entre amis ont repris et que des festivals extérieurs sont organisés, certains jeunes ont le sentiment qu’ils doivent «rattraper» la dernière année et demie d’isolement et de privation.
«Ce qu’ils étaient capables de consommer en un mois, ils le consomment en une journée, déplore Magali Bourdon. Et cette soif de vivre à nouveau risque d’augmenter les dépendances, mais aussi l’adhérence aux différentes substances, comme on peut le voir pour le fentanyl.»
Achats sur internet
Il est difficile de déterminer la proportion des consommateurs récréatifs dans toutes les surdoses survenues depuis mars 2020. Mais sur le terrain, on remarque que certaines substances achetées sur le dark web, «l’Amazon de la drogue», dont on ne connaît pas l’origine, ne sont pas des plus sécuritaires. Magali Bourdon relate que l’organisme Équipe médicale, qui offre des services médicaux événementiels, et avec qui le GRIP collabore, a dû utiliser la naloxone, un antidote aux surdoses d’opioïdes, deux fois au cours de l’été, alors qu’il n’avait jamais eu à le faire auparavant.
«Ce n’est pas parce que les festivaliers ont commencé à consommer de l’héroïne ou des opioïdes que ça arrive, mais plutôt parce que la composition des substances qu’ils consomment a changée», note Magali Bourdon.
Si les services ont graduellement repris, le retard prendra des années à rattraper, croit la directrice du GRIP. «J’ai le sentiment que dans deux ans, le GRIP sera encore en train de travailler à régler des méfaits de la période pandémique.»
*
À voir aussi
Les réseaux sociaux nuisent-ils à votre relation?